Sous un ciel gorgé d'étoiles, ils surgissent dans la nuit profonde, depuis des champs de maïs et sur une voie ferrée venant de la Serbie voisine, traversant par groupes de plusieurs dizaines la frontière hongroise.

Leurs visages sont éclairés par les gyrophares des voitures de police.

Quelques minutes plus tard, ces groupes deviennent des colonnes entières de migrants marchant vers l'autoroute menant à Budapest, où ils seront bloqués de nouveau par des policiers hongrois à bout de nerfs.

Sur une route jonchée de couvertures, de chaussures et de nourriture abandonnées, conduisant a Röszke, village frontalier hongrois situé à environ 170 kilomètres de Budapest et à 200 de Belgrade, ces migrants principalement originaires de Syrie, qui ont déjà connu l'exode sur les routes de Turquie, de Grèce, de Macédoine et de Serbie, scandent «Syria, Syria» et «Les camps (de réfugiés, ndlr) c'est fini» à la face de policiers hongrois portant des masques hygiéniques.

«Nous ne voulons plus vivre dans des camps en Hongrie ou ailleurs, les conditions sont horribles, il fait trop froid et tout est sale, et ça sent mauvais», lance une jeune Syrienne originaire de Damas, dans un anglais oxfordien.

Agitant leurs mains en l'air, d'autres migrants scandent «Nous voulons partir, laissez-nous passer», entonnant devant des policiers hongrois des «Germany, Germany». Excédé, un policier répond «C'est l'Allemagne qui vous a envoyés ici», tandis qu'un autre policier presse sa main sur le visage d'un migrant, lui ordonnant de se taire.

Mais les migrants parviennent à faire reculer les policiers déployés devant eux et forcent le passage, emportant avec eux de maigres sacs en plastique et leurs enfants endormis à bout de bras pour marcher jusqu'à Budapest.

A quelques kilomètres de là, Röszke, village de maisons aux volets baissés au milieu des champs agricoles, où les cloches des églises sonnent toutes les heures, semble indifférent au sort de ces migrants.

Bravant le froid, des volontaires autrichiens, eux, arpentent la route pour distribuer des plats chauds et des bouteilles d'eau aux migrants enveloppés pour la plupart dans des couvertures alors que la température la nuit avoisine les 4 degrés.

D'autres groupes de migrants continuent d'affluer sur la même voie ferrée, dans un mouvement qui ne semble pas tarir. Des policiers hongrois réclament des renforts.

Deux cents mètres plus loin, des Syriens arrivent à une station d'essence où un groupe d'hommes demandent à des journalistes de ranger leurs carnets et leurs appareils photo avec une hostilité à peine voilée. Des camions, des voitures y sont garés. «On cherche des taxis», explique un jeune Syrien, «ils demandent deux cents euros par famille pour nous conduire jusqu'à Budapest».

Soudain, des cris s'échappent dans la nuit.

À peine cinquante mètres plus loin, plusieurs centaines de migrants sont de nouveau bloqués par un barrage policier sur l'autoroute menant à Budapest.

Les autorités hongroises ont fait venir des bus portant l'inscription «Transit Line» et éclairés par une faible lumière jaune, pour ramener les migrants dans le camp qu'ils ont quitté à la frontière avec la Serbie, provoquant leur colère. Ils décident de ne plus bouger et de s'asseoir sur le bitume de l'autoroute.

Les rares migrants qui obtempèrent et regagnent les bus pour retourner au camp sont hués par leurs compagnons d'infortune. Des bouteilles d'eau sont jetées vers des policiers. Un tir de gaz lacrymogène provoque d'autres cris.

Mais déjà un nouveau flot de migrants se dirige vers l'autoroute de Budapest, bloquée par des policiers hongrois qui font venir une dizaine de fourgons, et par d'autres migrants, assis et déterminés à ne pas bouger.

De nouveau, des cris retentissent.

Appelant à l'aide, des hommes transportent en courant le corps inanimé d'un jeune homme, vraisemblablememt touché par le tir de gaz lacrymogène. Après de longues minutes, le jeune homme est évacué par une ambulance, sous le regard de migrants à bout de force, assis dans le bus qui doit les reconduire dans un camp. Et seules les lumières des gyrophares de la police éclairent encore les lieux.

Confrontée au flux incessant des migrants - plus de 160 000 ont franchi illégalement la frontière hongroise depuis le début de l'année, selon Budapest -, la Hongrie souhaite renforcer ses dispositions contre l'immigration illégale.

Le premier ministre Viktor Orban a annoncé lundi que les travaux d'édification d'une clôture le long de la frontière avec la Serbie allaient être accélérés.