Adal Neguse, un immigrant de l'Érythrée dont le frère s'est noyé lors du naufrage d'un bateau qui tentait de gagner les côtes italiennes en 2013, connaît trop bien ce qui se dessine pour les proches d'autres victimes mortes dans des accidents similaires en Méditerranée. Des mois d'attentes pour retrouver le corps, la douleur de voir des photos du naufrage et des rencontres interminables avec des fonctionnaires qui n'ont aucune suite.

Alors qu'un nombre record de personnes tentent de fuir la guerre et la pauvreté au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie pour se rendre en Europe, les autorités peinent à identifier les centaines de victimes qui périssent au terme de voyages périlleux.

Lorsque le corps du petit Alan Kurdi, trois ans, s'est échoué sur une plage de la Turquie, il est devenu le symbole de tous ceux qui sont morts en quête d'une meilleure vie en Europe. Mais contrairement au jeune Syrien, plusieurs autres meurent dans l'anonymat et ne sont jamais identifiés.

En date du 1er septembre, au moins 364 000 personnes avaient traversé la Méditerranée vers l'Europe depuis le début de l'année, et plus de 2800 d'entre elles sont mortes ou présumées mortes, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Seulement le tiers de ces corps repêchés peuvent être identifiés, selon Frank Laczko, chef du Centre d'analyse sur les données de la migration internationale de l'OIM à Berlin.

«Si chaque personne a dix proches, c'est près de 30 000 personnes qui sont touchés», a souligné M. Laczko. Mis à part l'épreuve émotionnelle de perdre un proche, ces personnes doivent s'occuper également d'enjeux juridiques, comme la propriété et le droit de remariage.

Le 27 août, les autorités autrichiennes ont découvert un camion contenant 71 corps en décomposition qui auraient été abandonnés par des passeurs. Ces victimes ne pourront vraisemblablement pas être identifiées, selon les autorités. La même journée, deux bateaux s'échouaient sur les côtes de la Libye.

Dans des catastrophes telles que des écrasements d'avion, les enquêteurs disposent au moins d'informations sur les passagers provenant de leurs billets électroniques, de leurs données de cartes de crédit et des informations fournies par les agences de voyages concernées. Or, les passeurs ne tiennent généralement aucun registre sur les gens qui montent à bord des bateaux. Ces personnes paient généralement leur traversée en argent comptant et ne transportent pas de pièces d'identité avec elles.

M. Laczko affirme que son organisation voudrait que l'Europe crée une base de données avec les informations fournies par les proches des victimes disparues, à laquelle les autorités ajouteraient des détails sur les corps retrouvés. Les téléphones cellulaires repêchés avec les victimes pourraient aussi être examinés plus attentivement, selon lui.

Dans le cas du camion retrouvé en Autriche, les experts étudient des documents découverts avec les corps, dont ils ont également prélevé des empreintes digitales, des échantillons d'ADN et des fiches dentaires. Ils ont aussi récolté les informations de dix cellulaires, selon le porte-parole de la police, Helmut Marban.

Une ligne d'assistance mise sur pied avec des téléphonistes qui parlent arabe, allemand et anglais a reçu plus de 100 appels dans ses deux premiers jours. Les victimes étaient d'origine syrienne, irakienne et afghane, mais la ligne n'a permis d'identifier personne pour l'instant, a affirmé M. Marban.

Quelque 2576 migrants du continent africain, la plupart de l'Érythrée et de pays d'Afrique subsaharienne, sont morts ou disparus cette année sur la route la plus longue et la plus dangereuse entre la Libye et l'Europe. L'OIM estime toutefois que 116 649 migrants africains sont arrivés sains et saufs en Italie.

Lorsque les corps arrivent en Italie, on prélève toutes les informations nécessaires: empreintes digitales, échantillons d'ADN, fiches dentaires et informations sur des marques distinctives, dont des tatouages.

L'Italie a beaucoup d'expérience dans ce domaine puisqu'elle est le théâtre de nombreux naufrages de migrants depuis des années. L'équipe de Vittorio Piscitelli, responsable du bureau gouvernemental qui tient un registre des personnes disparues, a adopté un nouveau protocole cette année, ce qui a permis d'identifier le frère de l'immigrant érythréen Adal Neguse.

M. Neguse se considère chanceux de pouvoir enfin pousser un soupir après 18 mois difficiles - entre la confirmation que son frère était dans le bateau échoué et son identification formelle.

Son frère Abraham a été inhumé en Sicile dans une tombe qui porte un chiffre, mais pas de nom.