En 1994, Richard Hétu a passé quatre mois en Afrique du Sud, quelque temps avant l'élection de Nelson Mandela à la présidence. Le pays était alors non seulement marqué par plusieurs décennies d'apartheid, mais également par une guerre fratricide au sein du peuple zoulou. Retour sur un séjour à l'aube d'une nouvelle ère.

Avec sa moustache blonde, son crâne dégarni et son physique de joueur de rugby, Louis Meynhardt était la caricature vivante du Boer, terme qu'utilisaient volontiers les Afrikaners de l'extrême droite pour s'identifier.

Mais il ne voyait rien de raciste dans son refus de croire que les Blancs puissent bientôt vivre dans un pays dirigé par des Noirs. «Ce serait comme mettre un chat dans un chenil et fermer la porte», me disait celui qui était alors président du comité exécutif du conseil municipal de la ville d'Akasia, lors d'une entrevue dans son bureau, où trônaient le drapeau de l'ancienne république du Transvaal et deux sculptures d'antilopes.

Situé à 15 km au nord de Pretoria, Akasia s'était joint au mouvement des petites municipalités des provinces du Transvaal et de l'État libre d'Orange, qui avaient unilatéralement déclaré leur «indépendance» à l'approche des premières élections multiraciales d'Afrique du Sud. Il s'agissait d'une étape préliminaire à la création du «volkstaat» (État) dont les Afrikaners d'extrême droite rêvaient.

«Nous ferons tout pour réaliser nos objectifs de façon pacifique», ajoutait Louis Meynhardt, à l'intérieur d'un hôtel de ville entouré de sacs de sable et de clôtures surmontées de barbelés.

«Mais, à la fin, si ça ne marche pas, la Bosnie ressemblera à un pique-nique du dimanche.»

Un rappel de la peur

La mort de Nelson Mandela m'a reporté au séjour de quatre mois que j'avais effectué en Afrique du Sud avant le scrutin historique d'avril 1994. Depuis l'adolescence, je lisais tout ce qui me tombait sous la main à propos de ce leader emprisonné pendant 27 ans et ce pays dominé par une minorité blanche pendant 46 ans d'apartheid et 342 ans de ségrégation raciale.

Je voulais être sur place pour assister à une des révolutions politiques les plus exaltantes du XXe siècle, et en témoigner. Mais ma rencontre avec Louis Meynhardt n'était qu'un autre rappel de la peur, de la haine et de la violence qui régnaient en Afrique du Sud à la veille de l'élection de Nelson Mandela à la présidence du pays.

L'idée que l'Afrique du Sud puisse devenir une autre Bosnie, où la guerre entre Serbes, Croates et Bosniaques faisait encore rage, n'était pas farfelue. Mais les divisions entre la minorité blanche et la majorité noire n'étaient alors ni les plus meurtrières ni les plus inquiétantes.

Guerre fratricide

Dans le bantoustan (territoire noir) du Kwazulu, une guerre fratricide faisait de nombreuses victimes chez les Zoulous, membres du groupe ethnique le plus important du pays. Les uns adhéraient au Congrès national africain de Nelson Mandela et à son rêve de créer un État unifié en Afrique du Sud où toutes les nations seraient confondues. Les autres appuyaient le parti Inkatha de Mangoshutu Buthelezi et son rêve d'établir au Natal un État où les Zoulous jouiraient d'une autonomie digne de leur passé glorieux.

Depuis la libération de Nelson Mandela, en février 1990, cette guerre fratricide avait fait plus de 10 000 victimes, les Zoulous s'entretuant non seulement dans les collines du Kwazulu, mais également dans les townships du Transvaal, où plusieurs d'entre eux vivaient dans d'immenses «hostels», ces foyers pour travailleurs migrants.

À deux mois des élections, un expert m'avait confié: «Selon mon expérience du terrain, les élections ne seront pas libres et équitables sur 65% du territoire du Natal. Les forces qui s'y opposent se battent depuis trop longtemps pour déposer les armes à un moment aussi crucial. J'aimerais me tromper, mais je crains le pire. Avant, pendant et après les élections.»

Cette sombre prédiction ne s'est heureusement pas réalisée. Et Nelson Mandela y aura été pour beaucoup. En repensant à ces mois passés en Afrique du Sud, je vois en lui non seulement un libérateur, mais également un pacificateur dont l'élection a contribué à apaiser la haine et la violence qui risquaient d'embraser son pays.

En me reportant à ces mois passés en Afrique du Sud, je pense aussi, bien sûr, au 27 avril 1994, journée électorale passée à Soweto, où auront lieu aujourd'hui les funérailles de Mandela. Pour la première fois, je visitais l'immense ghetto noir de la banlieue de Johannesburg sans la protection d'un guide ou d'un résidant.

Qu'avais-je à craindre en ce jour de libération? Rien, devais-je conclure en observant les citoyens de Soweto participer dans la joie et la fierté à ce premier vote démocratique.

Repose en paix, Madiba.