Il y a 10 ans, Francine Zuckerman et Debbie Filler n'auraient jamais pu imaginer qu'elles se sentiraient un jour un peu chez elles en Pologne. C'est dans ce pays que les deux résidantes de Toronto ont passé une bonne partie de leur temps au cours des dernières années, dans le but de tourner un film documentaire intitulé We Are Here. Les deux femmes confient qu'elles posent aujourd'hui un regard différent sur la Pologne, au-delà de la tragédie qu'y ont vécue leurs parents, tout comme des millions d'autres Juifs, durant la Seconde Guerre mondiale.

Le film We Are Here explore la problématique identitaire de cinq personnages: des Juifs d'âges et de milieux différents, qui vivent en Pologne. L'oeuvre cherche à savoir si la vie juive peut renaître dans un pays où l'Holocauste l'avait pratiquement éradiquée.

La réalisatrice du film, Francine Zuckerman, a été élevée dans une famille juive de Montréal, dont le père était né en Pologne. Sa productrice associée, Debbie Filler, est elle aussi fille d'un Juif polonais. Elles disent toutes deux avoir reçu depuis l'enfance le même message: la Pologne n'est rien d'autre qu'un cimetière, un endroit dangereux pour les Juifs.

«Les nazis ont tué ma famille, mais les Polonais étaient contents de les aider.» Cette phrase, Debbie Filler dit l'avoir entendue prononcer à maintes reprises par son père, un survivant du camp nazi d'Auschwitz, dans le sud de la Pologne.

Plusieurs rencontres avec des Polonais de Toronto, catholiques et juifs, vont permettre aux deux femmes de commencer à considérer la Pologne sous un autre jour. Quand une amie israélienne leur parle pour la première fois d'un renouveau dans la communauté juive d'Europe de l'Est, une idée de film se met à germer.

Six ans et neuf allers-retours Toronto-Varsovie plus tard, Francine Zuckerman affirme ne plus être la même personne. «Étrangement, je me sens vraiment bien ici. Je ne parle pas la langue et je suis toujours un peu une étrangère, mais j'ai maintenant une communauté.»

Et puis, les deux femmes sont maintenant citoyennes polonaises.

Elles avouent aussi avoir établi des liens quasi filiaux avec Henryk et Irena, deux protagonistes de leur film, survivants de l'Holocauste âgés de 81 et 97 ans.

À la recherche de ses origines

Pour Mme Zuckerman, les personnages de We Are Here sont à l'image de ce qui se passe à plus grande échelle dans le pays: des gens qui ignoraient jusqu'à récemment qu'ils étaient juifs renouent avec leur culture, commencent à pratiquer leur religion ou cherchent à connaître le sort de leurs familles décimées. Et ils le font souvent, quoique difficilement, en continuant d'assumer leur identité polonaise.

«Nous sommes plus de 20 ans après Solidarité et la chute du mur de Berlin, donc c'est le temps qu'il a fallu pour que ces Juifs sortent du placard, en quelque sorte», explique la cinéaste.

Mais par rapport aux 3 millions et demi de Juifs que comptait la Pologne en 1939, il n'y a pas de quoi se réjouir des quelque 8000 personnes qui se sont déclarées juives lors du dernier recensement en Pologne, selon la responsable de l'exposition permanente au Musée d'histoire des Juifs polonais. «Je n'appelle pas cela une renaissance. Il y a un renouveau, mais sur une petite échelle, précise Barbara Kirshenblatt-Gimblett. Cela prend une masse critique de personnes pour que le groupe puisse se maintenir.»

Plus significatif, selon la sociologue spécialiste des minorités sociales Malgorzata Melchior, est l'intérêt grandissant pour la culture juive dans la société polonaise, y compris parmi les non-juifs. «Cela commence parfois par le nettoyage de cimetières juifs dans certains endroits, ensuite on crée des programmes éducatifs, des festivals.»

«Je pense que la jeune génération agit vraiment comme un catalyseur. Ils veulent connaître cette part juive de leur histoire», ajoute Francine Zuckerman.