Le titre et la photo ont été publiés sur le site populaire BuzzFeed.com le jour où a éclaté l'affaire AP (Associated Press), il y a trois semaines.

«Le président panoptique», pouvait-on lire au-dessus d'un article signé par le rédacteur en chef de BuzzFeed, Ben Smith, qui comparait ainsi Barack Obama au surveillant d'une prison qui peut voir tous les détenus sans être vu par eux.

Le texte était accompagné d'une photo du 44e président se transformant en Richard Nixon, dont la méfiance à l'égard de la presse a contribué aux comportements criminels qui ont ruiné son administration et sa carrière politique.

Le site BuzzFeed ne fait pas encore partie de l'establishment médiatique aux États-Unis. Mais sa comparaison Obama-Nixon a fait du chemin depuis la révélation de la saisie secrète de relevés téléphoniques de l'agence AP par le ministère de la Justice afin de déterminer l'origine d'une fuite. Elle a notamment été reprise par James Goodale, avocat du New York Times à l'époque de l'affrontement entre ce quotidien et l'administration Nixon autour de la publication des dossiers secrets du Pentagone sur la guerre du Viêtnam.

«Le président Obama surpassera sûrement le président Richard Nixon comme le pire président qui soit en matière de sécurité nationale et de liberté de presse», a-t-il écrit dans un billet publié sur le site du Times.

Goodale ne réagissait pas seulement à l'affaire AP, qui découle d'un article de l'agence de presse sur une opération de la CIA au Yémen en 2012. Il s'indignait aussi de la surveillance de James Rosen, correspondant de Fox News à Washington, visé en 2010 par une enquête sur des fuites à propos de la Corée du Nord, une affaire révélée par le Washington Post il y a deux semaines.

Gene Policinsky, directeur du First Amendment Center de l'Université Vanderbilt, partage l'analyse de James Goodale.

«L'administration Obama a poursuivi plus de personnes pour avoir donné à des journalistes des informations confidentielles que toutes les administrations précédentes combinées», a-t-il rappelé au cours d'une entrevue téléphonique avec La Presse.

«Nous assistons à la campagne la plus intense de notre histoire contre les journalistes et leurs sources. Cela inclut l'ère Nixon, où les menaces étaient plus subtiles. Aujourd'hui, l'attaque est directe et frontale», a-t-il ajouté.

Comme d'autres experts, Gene Policinsky s'inquiète en particulier du libellé d'un document du FBI présentant James Rosen, le journaliste de Fox News, comme un «instigateur», «complice» et «co-conspirateur» d'un conseiller du département d'État, Stephen Jim-Woo, qui est l'une des six personnes poursuivies sous l'administration Obama au nom de la loi sur l'espionnage de 1917.

«C'est un langage que les procureurs utilisent quand ils veulent se réserver la possibilité de poursuivre quelqu'un. Le message aux journalistes est très clair», a dit Policinsky.

La comparaison Obama-Nixon ne fait évidemment pas l'unanimité. Dans un article publié dans le Washington Post, le vétéran journaliste Walter Pincus a accusé les critiques de l'administration démocrate de ne connaître ni l'histoire ni la loi. Il a notamment fait valoir que les informations confidentielles diffusées par James Rosen de Fox News avaient permis à la Corée du Nord d'apprendre que les États-Unis avaient eu accès à des conversations ou à des messages entre les membres du régime de Pyongyang.

Sécurité nationale

«Quand donc les journalistes assumeront-ils la responsabilité de leurs actes sans prendre une position défensive et crier que le Premier Amendement est attaqué?» a écrit cet expert des questions de sécurité nationale.

Reste que l'administration Obama a cru bon de répondre aux critiques de sa campagne antifuites. Le 23 mai, lors d'un discours sur la sécurité nationale, le président a affirmé que «les journalistes ne devraient pas encourir de risques juridiques dans l'exercice de leur profession». Aussi a-t-il demandé à son ministre de la Justice, Eric Holder, de passer en revue les directives en place ayant trait aux enquêtes dans lesquelles des journalistes sont impliquées.

L'ironie veut qu'une telle démarche soit nécessaire au sein d'une administration dirigée par un ancien professeur de droit constitutionnel qui avait promis d'être le président de la transparence. Cette contradiction n'étonne cependant pas Gene Policinsky.

«Nous voyons chez les administrations démocrates et républicaines une tendance qui va toujours en augmentant d'être plus opaque au nom de la sécurité nationale. C'est certainement le cas depuis les attentats du 11 septembre 2001», a dit le directeur du First Amendment Center.