Mohammed Moussa a coupé des mains et fouetté des femmes et des enfants. Pendant 10 mois, il a terrorisé la ville. Dimanche, il a été arrêté près de la frontière algérienne. Qui est Mohammed Moussa? Notre envoyée spéciale, à partir de témoignages recueillis sur le terrain, fait le portrait de ce tyran.

Mohammed Moussa avait plusieurs surnoms: la terreur, le maudit, le chien, le cauchemar de Tombouctou. Tout le monde avait peur de lui.

Il a dirigé la redoutable police islamique de Tombouctou pendant 10 mois. D'avril 2012 à la conquête de la ville par les armées française et malienne la semaine dernière, il a terrorisé la ville.

Personne ne voulait tomber entre ses mains. Sa réputation était sinistre. C'est lui qui donnait les ordres: emprisonner, violer, fouetter, couper des mains.

Il avait édicté des règles très strictes: interdit de fumer, d'écouter de la musique, de raser sa barbe; les femmes devaient porter le voile intégral; il avait aussi imposé une division des sexes qui ne tolérait aucune exception.

Abdoulahi Touré en sait quelque chose. Il est cordonnier. Il possède une petite boutique située en face du carrefour où les gens étaient fouettés. Il parlait à sa soeur lorsque Moussa est arrivé. «Il m'a dit: Pourquoi parles-tu à cette femme?», raconte Abdoulahi.

Il lui a expliqué qu'elle était sa soeur. Moussa ne l'a pas cru. Il l'a arrêté et jeté en prison pendant deux jours. «Ses hommes m'ont frappé avec des fils électriques. J'ai eu si peur que j'ai fermé ma boutique. La plupart de mes clients sont des femmes. Je ne voulais pas avoir de problèmes avec Moussa.»

Moussa envoyait ses hommes, des islamistes purs et durs du groupe Ansar Dine, patrouiller dans les rues de la ville à la recherche de coupables: un voile qui glisse sur une épaule, une barbe trop courte, un homme qui grille une cigarette, un enfant qui écoute de la musique.

Ses hommes lui obéissaient au doigt et à l'oeil.

«Il avait énormément de pouvoir sur eux, explique le maire, Halle Ousmane. Moussa était très dangereux. On l'appelait l'homme qui fait peur. Il imposait le fouet, la prison, l'humiliation. Il aimait faire souffrir.»

L'humiliation. Il s'en nourrissait.

«Il soulevait les pagnes [jupes] des femmes pour vérifier si elles portaient un collier autour de leur taille, explique un porte-parole de l'armée malienne, le capitaine Coulibaly. Il était la terreur des femmes. Après sa fuite, elles nous ont dit: Si vous le capturez, on le veut!»

Personne ne sait combien d'hommes Moussa dirigeait. «Peut-être 5000», avance le capitaine Coulibaly.

Cinq mille islamistes armés qui ont tenu la ville en otage pendant dix mois.

Mohammed Moussa est un homme impressionnant: grand, baraqué, barbe fournie. Il a une cinquantaine d'années et ses cheveux grisonnent.

Seydou Bassaloum a gardé de lui un souvenir amer. Il est le surveillant général de l'hôpital de Tombouctou. Quand je lui parle de Moussa et de ses hommes, il arrête de se balancer sur sa chaise, il hausse le ton et roule des yeux. «Ils agissaient n'importe comment! C'était des animaux!»

Pendant 10 mois, il en a bavé. Moussa et ses hommes débarquaient à toute heure du jour et de la nuit, ils houspillaient les infirmières et les malades parce quelles n'étaient pas voilées de la tête aux pieds. Ils se promenaient avec leurs armes, ce qui faisait hurler Médecins sans frontières (MSF), partenaire de l'hôpital. Pour MSF, les règles sont strictes: aucune arme n'est tolérée. Moussa a aussi exigé d'avoir un bureau. MSF en a fait une syncope.

Seydou Bassaloum était coincé entre Moussa et MSF. Les réunions étaient interminables, Moussa ne voulait rien entendre. «C'est un imbécile! dit Seydou Bassaloum en tapant sur son bureau. Il me disait que je n'aimais ni Dieu ni la charia. On a vécu l'enfer, l'enfer! Dès qu'on voyait sa voiture rouge, c'était la panique. Tout le monde avait peur: les patients, les infirmières, les médecins!»

Moussa a ordonné que les hommes et les femmes soient séparés. Seydou Bassaloum a dû installer un paravent à l'accueil. D'un côté, les femmes, de l'autre, les hommes.

Moussa lui a aussi donné une feuille décrivant les règles imposées aux femmes: se voiler intégralement, éviter les couleurs, porter des vêtements amples, ne pas ressembler à un homme ni à une femme juive, ne pas se parfumer.

Seydou Bassaloum balance la feuille sur son bureau. «C'était leurs exigences! Comment une infirmière peut-elle travailler dans de telles conditions? Il nous a montré l'enfer, l'enfer! On veut le manger cru, cru, là, cru!»

Mohammed Moussa est touareg. Il est né à Agalal, village situé à une quarantaine de kilomètres de Tombouctou. Son père est un marabout (un sage qui enseigne le Coran). Sa famille est riche, raconte Boubacar, un homme qui a grandi à côté de Moussa à Agalal.

«Ils avaient des chameaux, des chèvres et des vaches», explique-t-il.

Moussa était un garçon tranquille qui lisait beaucoup. À 20 ans, il a quitté son village pour l'Arabie saoudite, où il a séjourné pendant plusieurs années. Lorsqu'il est retourné à Tombouctou, il n'était plus le même homme. Il s'était converti au wahhabisme, doctrine salafiste ultraorthodoxe qui rejette les autres courants de l'islam.

Il a construit une mosquée en plein coeur de Tombouctou et il a fondé une école coranique. Il était imam et marabout. Selon l'Agence France-Presse, il recrutait des jeunes pour Al-Qaïda.

Kassoum Boubacar Sidibé l'a bien connu. Ils ont été voisins pendant six ans. Kassoum est directeur d'école. Ils avaient de longues discussions. Il fréquentait la mosquée de Mohammed Mossa, mais il se méfiait de lui.

«C'est une âme noire, dit Kassoum. Il ne supporte pas la contradiction. Il croit à la supériorité raciale des Touaregs. Pour lui, les Noirs sont des esclaves. Il est très hautain. Je me suis toujours dit que le jour où cet homme aurait une parcelle de pouvoir, il serait capable de tout. C'était un homme sadique qui adorait humilier.»

Mossa était entouré, adulé; personne n'osait le contredire. Il était le maître.

Un homme a osé l'affronter: son père.

Trois mois avant la conquête de Tombouctou par Ansar Dine, Moussa a disparu. «Le 2 avril, raconte Kassoum, il est revenu avec ses islamistes armés jusqu'aux dents et il a pris le contrôle de Tombouctou. Il a réquisitionné mon école pour installer ses hommes.»

Et il a instauré son régime de terreur.

Son père est venu à Tombouctou pour essayer de le raisonner. «Il a tout fait pour le faire changer d'idée», affirme Boubacar, qui a grandi dans le même village que Moussa. Ils ont eu une terrible chicane. «Je serai djihadiste jusqu'à ma mort!», a-t-il lancé à son père.

Les deux hommes ne se sont jamais revus.

La mosquée de Mohammed Moussa est toujours là, dans un quartier tranquille aux rues ensablées. Beige avec des volets verts. Sur le toit, un minaret et un haut-parleur pour l'appel à la prière. Elle est ceinturée d'un mur de brique. Un gardien, Ami Cissé, m'a ouvert les portes. Au plafond, des ventilateurs; dans un coin, des tapis roulés en boule.

L'armée française a fouillé la mosquée de fond en comble. Elle voulait s'assurer que Moussa ne l'avait pas piégée. Le vieux gardien soupire quand il pense à Moussa. «Tout Tombouctou crie après lui, dit-il. C'était le chien méchant.»

Quelques rues plus loin, sa maison. Il n'en reste plus grand-chose. Les enfants la démolissent brique par brique.

La voisine de Moussa, Bintou Dico, se souvient de sa fuite. L'armée française approchait et Moussa savait qu'il ne pouvait pas gagner contre les puissants bombardiers. «C'était au petit soir, dit-elle. Deux autos se sont rangées le long de la maison, une rouge et une blanche. Moussa a embarqué sa femme et ses sept enfants. Il est parti, on ne l'a jamais revu.»

Dimanche, Mohammed Moussa a été arrêté près de la frontière algérienne, dans les confins du désert. Aujourd'hui, plus personne n'a peur de lui. Les gens exigent qu'il soit jugé à Tombouctou. Tous veulent le voir menottes aux poignets, humilié, déchu, dépouillé de tout pouvoir. Surtout les femmes.