Le Monarque, son fils, son fief est une bombe politique qui raconte, de l'intérieur, les agissements discutables de l'ex-président Nicolas Sarkozy et de son entourage. Ces jours-ci, les Français s'arrachent ce roman à clés, écrit par la collaboratrice d'un ami de longue date du chef d'État. Notre journaliste, qui a interviewé l'auteure, Marie-Célie Guillaume, explique pourquoi.

L'ex-président français Nicolas Sarkozy est un homme cynique, colérique et mégalomane qui utilisait sans vergogne sa fonction et son influence pour écraser toute personne qui refusait de se plier à ses desiderata.

Et son fils, Jean Sarkozy, est un opportuniste qui usait et abusait du respect - voire de la peur - inspiré par son puissant père pour s'assurer une ascension politique rapide malgré son jeune âge et son manque d'expérience.

Tel est du moins le profil des deux hommes suggéré par Le Monarque, son fils, son fief, un roman à clés vendu à plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires qui fait grincer des dents à droite.

L'ouvrage, présenté comme une satire «très bien informée» et largement fidèle aux faits, est écrit par Marie-Célie Guillaume, qui fut pendant plusieurs années directrice de cabinet du président du conseil général des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian.

Cet ancien ministre est un collaborateur de longue date de Nicolas Sarkozy qui prend en 2007 la tête de l'ancien fief de son ami, au nord-ouest de Paris, après avoir été ignoré dans la composition du premier gouvernement.

Mme Guillaume raconte la guerre de pouvoirs déclenchée dans les Hauts-de-Seine suivant la nomination de M. Devedjian en «cachant» les acteurs politiques sous des noms qui ne font guère illusion.

Le «o» du mot «Monarque» sur la page couverture du livre est notamment remplacé par un profil du visage de l'ancien président qui ne laisse guère de place au doute.

En entrevue à La Presse, l'auteure a indiqué hier qu'elle souhaitait mettre en lumière la violence des moeurs politiques prévalant dans le camp de Nicolas Sarkozy et illustrer jusqu'où lui et son entourage «étaient prêts à aller» pour atteindre leurs objectifs, même lorsqu'ils semblaient dérisoires.

Sarkozy veut «lui faire la peau»

Ainsi, la tentative ratée de nomination du fils du président, Jean Sarkozy, à la tête de l'EPAD, l'organisation chargée de chapeauter le complexe d'affaires de la Défense, dans l'ouest de Paris, est longuement détaillée.

L'ancienne directrice de cabinet met en évidence l'ingérence de l'Élysée, qui fait modifier un décret pour forcer son patron - surnommé l'Arménien dans le livre - à abandonner le poste de président de cette organisation au profit du Dauphin.

Le jeune homme renoncera finalement à la fonction à la demande de son père, secoué par les accusations de népotisme, mais n'hésitera pas par la suite à user de ses contacts pour accroître son influence dans les Hauts-de-Seine. L'auteure relate qu'il intervient notamment auprès du ministère de la Défense pour faire bloquer la vente d'un bâtiment et contrecarrer les plans du président du conseil général.

Les efforts de Mme Guillaume - identifiée comme la «Baronne» - pour protéger son patron lui valent l'inimitié du président. Et des menaces. Dans un épisode, un intermédiaire proche de l'Élysée l'appelle pour l'aviser que le Monarque «va lui faire la peau» si elle continue à vouloir contrecarrer ses plans.

Faveur sexuelle pour le président

«Les Thénardier», qui représentent Patrick et Isabelle Balkany, un couple d'élus des Hauts-de-Seine, proche de Nicolas Sarkozy, sont dépeints comme des êtres vulgaires et profiteurs qui manoeuvrent pour faire avancer la carrière de Jean Sarkozy au détriment de celle de Patrick Devedjian.

Dans un épisode, la Baronne relate qu'ils intimident les membres du parti à proximité des bureaux de vote, avec l'aide du Dauphin, pour garantir la victoire d'un candidat qu'ils soutiennent.

Les médias français qui ont parlé du livre ont surtout évoqué les jeux de cour en insistant sur un passage croustillant dans lequel le Monarque demande une faveur sexuelle à une élue venue solliciter une subvention pour un musée.

L'ouvrage a été très mal reçu par les élus de droite des Hauts-de-Seine, qui ont immédiatement réclamé la tête de l'auteure et voté une motion de défiance à l'égard de Patrick Devedjian.

Isabelle Balkany, furieuse, a déclaré que Mme Guillaume n'avait «aucune compétence» et n'avait rien fait d'autre à travers les années que «rester scotchée matin, midi et soir» à son patron.

Jean Sarkozy, visiblement peu flatté, a accusé le président du conseil général des Hauts-de-Seine d'avoir commandé l'ouvrage pour «essayer d'humilier, de blesser» ses adversaires politiques. «Je pense que son attitude écoeure les gens, qu'ils sont choqués», a noté le jeune politicien.

Règlements de compte

Au moment de la sortie du livre en juin, un pamphlet signé par le «cardinal de Fleury» a été envoyé aux journalistes et mis en ligne pour fustiger Mme Guillaume, renommée pour l'occasion «La Pompadour» en référence à la maîtresse du roi Louis XV. Elle se voit notamment reprocher d'avoir voyagé sans raison aux frais de son patron, ce qu'elle nie.

Patrick Devedjian, qui avait refusé à quelques reprises par le passé de congédier sa collaboratrice malgré les pressions exercées par Nicolas Sarkozy et son entourage, a fini par la renvoyer quelques semaines après la sortie du livre. Sans pour autant critiquer ses écrits.

«C'est un livre de femme qui décrit un climat fait par des hommes au cerveau reptilien empreint d'une grande brutalité naturelle...», a commenté le politicien, qui a refusé d'accorder une entrevue à La Presse à ce sujet.

Mme Guillaume se dit étonnée par la vigueur des réactions suscitées par ses écrits. Mais pas des méthodes utilisées par ses adversaires, qui reflètent en quelque sorte ce qu'elle dénonce.

«Si le but était de faire en sorte que les choses changent, il n'est pas certain que mon livre suffise», ironise-t-elle.

Les grands acteurs

Le Monarque

Nicolas Sarkozy

L'ancien président est dépeint comme un dirigeant sans remords qui fait trembler les membres de son entourage et n'hésite pas, au besoin, à recourir aux pouvoirs politiques dont il dispose pour écraser ses adversaires. Il surveille notamment de près de l'Élysée, l'évolution politique, dans son «fief» des Hauts-de-Seine, un département riche au nord-ouest de Paris qui lui a servi de tremplin pour accéder à la plus haute fonction française.

Le Dauphin

Jean Sarkozy

Le jeune et charismatique fils de Nicolas Sarkozy tente de marcher dans les traces de son père en usant de son influence pour faciliter sa propre ascension politique. Sa tentative de prendre, à 22 ans, la tête de l'EPAD, l'organisation chargée du développement du centre d'affaires parisien de la Défense, a suscité une importante levée de boucliers et a valu à son père d'embarrassantes accusations de népotisme. Il a finalement été forcé de renoncer au poste mais a réussi néanmoins à s'implanter politiquement dans les Hauts-de-Seine, où il siège au conseil général.

L'Arménien

Patrick Devedjian

Le politicien, qui préside aujourd'hui le conseil général des Hauts-de-Seine, est un ami et collaborateur de longue date de Nicolas Sarkozy. Après l'élection de 2007, il s'attendait à être nommé ministre mais a découvert que le nouveau chef d'État voulait plutôt lui conférer des responsabilités administratives au sein du parti de la majorité. Avec l'aide d'élus locaux, il prend le contrôle du conseil général des Hauts-de-Seine, ce qui lui vaut l'inimitié du président et de plusieurs membres de son entourage qui tentent, par divers procédés, de torpiller son action politique et de le pousser à la porte.

La Baronne

Marie-Célie Guillaume

La directrice de cabinet de Patrick Devedjian doit redoubler de sens stratégique pour tenter de protéger son patron des manoeuvres de ses opposants au sein de son propre parti. Elle reçoit des menaces à plusieurs reprises, notamment d'un intermédiaire disant agir au nom de l'Élysée, qui demande à plusieurs reprises à son patron de la congédier. Mme Guillaume a finalement été renvoyée quelques semaines après la sortie de son livre en réponse aux réactions indignées des élus de droite des Hauts-de-Seine.