Aux yeux de ses supporteurs, Thomas Drake méritait une récompense. En 2006 et 2007, cet ancien employé du renseignement américain a fourni des informations à un journaliste du Baltimore Sun sur ce qui semblait être un exemple spectaculaire de gaspillage. Son employeur, l'Agence de sécurité nationale (NSA), avait retenu les services d'un sous-traitant pour implanter et gérer un programme informatique dont la facture s'élevait à plus d'un milliard de dollars, alors qu'une version maison aurait coûté trois millions de dollars.

Aux yeux de l'administration Obama, Thomas Drake méritait jusqu'à 35 ans de prison, la peine maximale à laquelle il était passible à la suite de son inculpation pour des crimes d'espionnage. Le 10 juin, il a évité ce sort en concluant un accord avec le ministère de la Justice. Celui-ci a accepté de renoncer à tout procès et à toute peine d'emprisonnement contre le spécialiste de cryptage électronique en échange d'un plaidoyer de culpabilité à un délit mineur - avoir utilisé un ordinateur du gouvernement pour transmettre des données confidentielles à une personne qui n'y était pas autorisée.

Il s'agissait du premier revers de l'administration Obama dans sa campagne sans précédent contre les «whistleblowers» (lanceurs d'alerte), qui dénoncent des dysfonctionnements au sein de leur organisation ou fournissent des informations confidentielles aux médias. Depuis l'investiture du 44e président, le ministère de la Justice a poursuivi cinq personnes pour des fuites à des journalistes. Parmi celles-ci, l'affaire du jeune soldat Bradley Manning, incarcéré et inculpé pour avoir fourni des dizaines de milliers de documents à WikiLeaks, est la plus connue.

Zèle sans précédent

Les poursuites de l'administration Obama contre les lanceurs d'alerte n'étonnent pas seulement par leur nombre (selon des experts, seules trois personnes avaient fait l'objet d'instructions aux États-Unis pour des fuites aux médias avant janvier 2009). Elles constituent également une trahison inattendue du programme électoral de Barack Obama, qui promettait de protéger les «whistleblowers» et d'assurer une plus grande transparence.

«Un employé du gouvernement voué à l'intégrité publique et prêt à parler fort est souvent la meilleure source d'information sur le gaspillage, la fraude et les abus», pouvait-on lire dans le programme du candidat démocrate à la présidence en 2008. «De tels actes de courage et de patriotisme, qui peuvent parfois sauver des vies et qui épargnent souvent l'argent des contribuables, devraient être encouragés plutôt que réprimés.»

L'administration Obama tient bien sûr à faire la distinction entre les lanceurs d'alerte qui parlent haut et fort sur la place publique et les employés gouvernementaux qui fournissent des informations confidentielles aux médias. N'empêche qu'elle poursuit ces derniers avec plus de vigueur que toutes les administrations précédentes, y compris celle de Richard Nixon, l'une des plus secrètes et vindicatives de l'histoire.

Un journaliste en prison?

Et sa campagne pourrait bien mener à l'emprisonnement d'un journaliste du New York Times, en l'occurrence, James Risen, auteur d'un livre sur la CIA publié en 2006. Lauréat du prix Pulitzer, Risen a été sommé par un procureur, avec l'accord du ministère de la Justice, de témoigner contre Jeffrey Sterling, un ancien agent du renseignement américain qui aurait été sa source pour un des chapitres de son ouvrage, État de guerre: histoire de la CIA et de l'administration Bush.

Le chapitre décrit les gaffes commises par la CIA dans sa campagne pour obtenir des renseignements sur le programme nucléaire de l'Iran. Mais James Risen ne croit pas que les informations contenues dans ce livre soient la raison véritable pour laquelle le procureur veut le forcer à témoigner et à dévoiler ses sources. Dans une lettre adressée la semaine dernière à un juge fédéral de Virginie, le journaliste a accusé le gouvernement américain de vouloir l'intimider.

«Je crois que la campagne me ciblant a continué sous l'administration Obama, qui a multiplié les enquêtes sur les lanceurs d'alerte et les reporters d'une manière qui aura un impact négatif sur la liberté de la presse aux États-Unis», a écrit Risen, qui a remporté le prix Pulitzer pour avoir révélé en décembre 2005 le programme secret de surveillance électronique mis en place par l'administration Bush après les attentats du 11 septembre 2001.

Si le juge de Virginie refuse d'annuler la convocation de Risen, et si celui-ci persiste à refuser de révéler ses sources, le journaliste pourrait être poursuivi pour «outrage». En 2005, sa collègue Judith Miller du New York Times, Judith Miller, avait été emprisonnée pendant trois mois dans des circonstances semblables.