Ils ont organisé une orgie dans un musée pour critiquer l'élection «pornographique « du président Medvedev, orchestré un concert punk impromptu dans un tribunal pour dénoncer la censure artistique, simulé la pendaison de gais et de travailleurs migrants dans une quincaillerie pour marquer l'intolérance de l'ancien maire de Moscou.  

Le collectif artistique russe Voïna (« guerre «, en russe) dérange des gens. Tellement que certains de ses membres ont dû prendre le chemin de la clandestinité pour éviter la prison.

«Nous sommes maintenant passés dans l'illégalité.» Le message d'Oleg Vorotnikov est arrivé dans la boîte courriel de l'auteur de ces lignes dans la nuit de lundi à hier. L'«idéologue « de Voïna ne spécifie ni où il se trouve, ni comment il compte poursuivre sa vie d'artiste en cavale.

«Aujourd'hui Kasper (mon fils) a eu 2 ans. Son cadeau d'anniversaire de la part du Comité d'enquête, c'est que je sois maintenant un homme recherché par la police «, poursuit «Vor «, qui s'identifie par son nom d'artiste, «voleur « en russe.

Son crime? «Le 31 mars, lors d'une manifestation non autorisée au centre de Saint- Pétersbourg, Oleg Vorotnikov, 32 ans, a retiré les chapeaux de plusieurs policiers et les a jetés sur la route. Ensuite il a frappé à la tête l'un des policiers», explique le Comité d'enquête russe dans un communiqué diffusé lundi.

«Vor» ne nie pas les faits. L'action porte de toute façon la signature habituelle de Voïna, un collectif de tendance anarchiste qui compterait jusqu'à 60 artistes-militants. Pour eux, l'art politique ne doit pas se contenter de déranger ceux qui la regardent. Elle doit aussi déranger le pouvoir.

Longue feuille de route

Oleg Vorotnikov et sa bande n'en sont pas à leurs premiers démêlés avec la justice. Deux jours avant la présidentielle de mars 2008, l'orgie qu'ils ont organisée et filmée dans un musée de biologie de Moscou sous le slogan «Baise pour l'ourson héritier!» en référence au successeur désigné de Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev, dont le nom en russe provient du mot «ours» leur a valu une accusation pour «diffusion de pornographie».

Rien de plus vrai, selon les membres de Voïna. Sauf que ce qui était «pornographique» selon eux, c'est l'élection fantoche du nouveau président. Depuis ce temps, les artistes du collectif sont souvent interpellés par la police et leurs appartements sont fouillés.

En septembre, leur performance intitulée «La révolution du palais» a clairement franchi les limites de la légalité: dans le centre de Saint-Pétersbourg, ils ont retourné des voitures de police sur le capot pour dénoncer la corruption et l'incompétence des forces de l'ordre. Deux mois plus tard, Oleg Vorotnikov et son comparse Léonid Nikolaïev ont été arrêtés pour répondre de cette action. Ils ont passé trois mois en prison et attendent maintenant leur procès. S'ils sont reconnus coupables, ils pourraient passer sept ans derrière les barreaux.

Art ou vandalisme?

Le milieu artistique russe ne s'entend pas sur la nature du travail de Voïna: art ou vandalisme? Mais une chose est sûre, il ne peut plus passer sous silence ses coups d'éclat. Au début du mois, le collectif s'est vu décerner le prix «Innovation-2011» d'art moderne visuel, d'une valeur de 14 000$, financé par... le ministère de la Culture.

L'oeuvre récompensée, intitulé «La bite prisonnière du FSB «, consistait en un phallus de 65 mètres peint en 23 secondes sur un pont de Saint-Pétersbourg faisant face d'un édifice du FSB, les services de sécurité russes. À l'ouverture du pont qui permet le passage la nuit des bateaux sur les canaux de l'ancienne capitale impériale l'engin reproducteur s'est ainsi érigé de tout son long, bien illuminé par les lampadaires aux alentours.

L e jury du concours Innovation a expliqué que passer sous silence la performance de Voïna aurait créé une controverse encore plus grande que celle déclenchée par l'attribution du prix. Les membres du collectif n'ont toutefois pas osé aller le recueillir lors de la cérémonie

 

Note : cet article a été corrigé le 25 avril 2011. La première version du texte faisait mention d'une action dans laquelle des militantes ont «embrassé de force des policières pour dénoncer la corruption». Or, selon Oleg Vorotnikov, la performance était l'oeuvre d'anciens membres du collectifs qu'il qualifie de «traîtres» après une querelle interne. Ce passage a été retiré.