«Leur décision témoigne d'un manque total de respect pour le système judiciaire et la population italienne», a lancé hier à La Presse Erica Ama, qui battait le pavé devant le tribunal de Milan à l'occasion de l'ouverture du procès du Rubygate.

La femme de 24 ans ne digérait pas que le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, ait fait savoir que ses fonctions «institutionnelles» ne lui donnaient pas le temps d'assister à l'audience, expédiée en quelques minutes. Et que ses deux avocats, qui siègent comme députés, se soient fait remplacer pour des raisons similaires.

Le coloré politicien de 74 ans est accusé d'avoir eu des relations sexuelles payées avec une femme mineure au moment des faits allégués, Karima El Mahroug, connue sous le nom de Ruby la voleuse de coeurs. La justice lui reproche par ailleurs d'avoir abusé de son pouvoir en intervenant auprès d'un haut responsable de la police pour la faire libérer après son arrestation dans une histoire de vol.

La procureure au dossier, Ilda Boccassini, affirme que le chef du gouvernement a eu plusieurs relations sexuelles avec Mme El Mahroug à l'issue de soirées érotiques dans un palais de Milan où étaient convoquées des dizaines de jeunes femmes. Trois proches de Silvio Berlusconi font l'objet d'une enquête, soupçonnés d'avoir orchestré un réseau de prostitution en sa faveur.

Hier matin, plus d'une centaine de journalistes italiens et étrangers se sont présentés au tribunal de Milan pour assister à l'ouverture officielle du procès, très attendu. La salle d'audience, sous forte protection policière, avait été repeinte pour l'occasion et des draps blancs avaient été installés pour cacher les cages dans lesquelles comparaissent normalement les détenus.

Après avoir pris connaissance de «l'empêchement institutionnel» de Silvio Berlusconi, les juges qui chapeautent le procès - trois femmes - ont entendu les personnes qui souhaitaient se constituer partie civile en raison des dommages subis dans cette affaire.

Le véritable préjudice

L'avocate de Karima El Mahroug, aussi absente, a annoncé qu'elle ne se porterait pas partie civile. Paola Boccardi a souligné que sa cliente - qui nie toute relation sexuelle avec le chef du gouvernement italien - n'a subi aucun préjudice du fait d'avoir fréquenté le politicien.

Le véritable préjudice, a-t-elle noté, vient du fait que des médias ont présenté la jeune femme comme une prostituée sans raison. Des personnes la sollicitent régulièrement aujourd'hui «pour lui demander de faire bunga bunga», a souligné Me Boccardi.

L'avocat présent pour représenter Silvio Berlusconi, Giorgio Perroni, s'est félicité de la décision de la jeune femme, relevant qu'elle confirmait la version du politicien sur la nature amicale de leur relation.

Il a indiqué que la défense ne savait pas encore si elle déposerait une requête pour faire suspendre le procès en attendant une décision de la Cour constitutionnelle relativement à la juridiction du tribunal. Le Parlement, où le chef du gouvernement dispose de la majorité, estime que la cause devrait être entendue par un tribunal spécial pour les ministres.

Il pourrait s'écouler plusieurs mois avant qu'une décision soit prise, retardant d'autant les procédures, qui doivent officiellement reprendre le 31 mai.

«Honte»

Dans la rue, les développements du jour n'ont rien fait pour apaiser les tensions relatives au Rubygate, qui divise profondément les Italiens.

«J'ai honte du chef du gouvernement (...) Il ne respecte pas la loi même s'il est un citoyen comme moi. S'il respectait la loi, il n'aurait pas fait toutes ces horreurs», a déploré Maria Provini, une retraitée de 70 ans venue manifester devant le tribunal.

De l'autre côté de la rue, un groupe de partisans criait son soutien au chef du gouvernement, arguant «qu'il n'a rien fait de mal». Un vieil homme brandissait fièrement la reproduction d'un journal du jour demandant qu'Ilda Boccassini soit traînée en justice pour ses actions.

La présence d'une foule de manifestants et de journalistes constituait une source d'amusement pour Antonio Polverino, qui gère un immeuble adjacent au tribunal. «Silvio Berlusconi est un personnage qui ne laisse personne indifférent», a-t-il noté.