En Belgique, où l'Église catholique a longtemps exercé une lourde influence sur la société, de plus en plus de personnes demandent à être «débaptisées» pour rompre formellement avec l'institution religieuse. Une pratique alimentée notamment par les scandales de pédophilie des dernières années, mais aussi les prises de position idéologiques controversées des leaders religieux du pays, explique Marc Thibodeau.

Sur la photo, Damien Spleeters est tout sourire. Il s'apprête à célébrer sa «grande communion» avec une foule d'autres enfants qui, tout de blanc vêtus, portent comme lui une croix de bois au cou et un cierge à la main.

Douze ans plus tard, le cliché fait sourire le Bruxellois de 24 ans, qui a définitivement tourné la page sur son passé religieux l'année dernière en posant un geste «radical».

Ce jeune auteur épris de poésie a écrit en janvier 2010 à l'évêché de Tournai, où son baptême a été enregistré, pour demander que son nom soit rayé du registre officiel.

«Si pour cet acte de marronnage, j'ai besoin de témoins, j'appellerai vos victimes: le feu et ses damnés, les langues arrachées. Épargnez-moi vos indulgences, vous ne parlerez plus jamais en mon nom», a-t-il écrit dans sa missive.

L'évêché l'a informé un mois plus tard que son acte d'apostasie - ou de «débaptisation» comme disent les médias belges - serait dûment noté parce que l'Église catholique «respecte la liberté de chacun».

«Il est toutefois de notre devoir de vous informer que les baptisés catholiques qui rejettent publiquement et totalement la foi catholique encourent l'excommunication catholique» et ne peuvent à ce titre recevoir les sacrements, a prévenu l'institution.

Une mise en garde sans conséquence pour M. Spleeters, qui aimerait bien avoir en main un certificat confirmant son départ de l'Église catholique.

Pédophilie et homosexualité

«Quand vous faites partie d'une organisation, vous approuvez tacitement ce qu'elle dit et ce qu'elle fait, vous la cautionnez. Ça allait à l'encontre de ma conscience», explique le jeune homme, qui a engagé la démarche de concert avec sa conjointe.

Les sorties controversées du chef de l'Église catholique de Belgique, Mgr André-Joseph Léonard, qui a suscité de vives polémiques par ses propos sur le sida et l'homosexualité, constituaient la «goutte qui fait déborder le vase», souligne-t-il.

M. Spleeters évoque aussi les affaires de pédophilie touchant des prêtres belges, qui ont eu un large écho dans ce pays traumatisé par plusieurs crimes sordides touchant des enfants, incluant l'affaire Dutroux.

Il y a quelques mois, un rapport regroupant les témoignages de 500 personnes ayant été victimes de prêtres pédophiles a connu un grand retentissement.

Loin de s'en tenir à l'histoire récente, M. Spleeters évoque aussi pour expliquer son geste le rôle de l'Église catholique dans la colonisation et les exactions commises contre les autochtones refusant de se convertir. «Quand on gratte un peu, on trouve toutes les preuves pour dire que l'institution est quelque chose d'atroce», dit-il.

Le geste, ajoute le jeune homme, n'a pas été bien compris initialement par les membres de son entourage. Il relate avoir reçu par ailleurs sur Facebook un message d'un Américain qui l'accusait d'avoir «laissé gagner le diable» après avoir pris connaissance de son action dans une dépêche d'agence de presse.

Pics de demandes

Daniel Leclercq, qui coordonne la Fédération des amis de la morale laïque, note qu'un nombre croissant de Belges ont décidé au cours des dernières années de suivre la même voie que M. Spleeters.

L'organisation, qui propose son aide aux personnes intéressées par la démarche, a aidé près de 1800 personnes à se faire débaptiser en 2010. En 2008, moins d'une centaine de personnes avaient fait appel à elle à ce sujet.

La plupart, dit M. Leclercq, sont des catholiques «sociologiquement parlant» qui expriment le désir de ne plus «appartenir même symboliquement» à l'Église catholique. Les pics de demandes, note-t-il, correspondent à des sorties de Mgr Léonard ou à des développements marquants dans le scandale de pédophilie.

Certains demandent à être débaptisés avec humour, d'autres avec colère, indique le porte-parole. Dans une des lettres consultées par La Presse, un homme dit vouloir se dissocier de «ce dogme ecclésiastique qui couvre des faits de pédophilie depuis au moins 50 ans». Une autre évoque les souffrances des «divorcés écartés, personnes abusées, prêtres progressistes malheureux et rejetés».

Rik Torfs, professeur de droit canonique à l'université catholique de Louvain, relève en entrevue que le phénomène des débaptisations n'est «pas neuf du tout».

«L'idée devient cependant plus urgente en raison de la crise que traverse actuellement l'Église catholique en Belgique», relève le spécialiste, qui évoque notamment le style «provocateur» de Mgr Léonard pour expliquer la montée de l'opposition contre l'institution.

Le pays, dit-il, a longtemps été entièrement sous le joug de l'Église, d'une manière comparable à l'Irlande, l'Espagne ou encore la Pologne. L'emprise était particulièrement forte en Flandre, où il était «pratiquement impossible de survivre en étant en froid» avec l'institution dans les années 60. Une situation un peu moins vraie côté wallon, où nombre de gouvernements d'inspiration socialiste ont freiné l'influence religieuse.

Il existe aujourd'hui dans le pays une forme d'esprit «revanchard» contre l'Église catholique, juge M. Torfs, qui reproche à ses dirigeants d'avoir cherché beaucoup trop longtemps à étouffer les problèmes, notamment en matière de pédophilie.

Phénomène significatif

L'institution catholique a aussi eu tendance jusqu'à maintenant à minimiser la portée des cas des débaptisations en relevant qu'ils ne représentaient qu'une fraction infime du nombre de catholiques du pays.

Le père Charles Delhez, qui dirige l'hebdomadaire catholique Dimanche, pense que le phénomène est malgré tout significatif. «C'est un signal clair qui doit faire prendre conscience que le fonctionnement de l'institution ne cadre plus avec les mentalités d'aujourd'hui», souligne-t-il.

Le religieux s'inquiète par ailleurs de savoir ce qu'il advient de tous les pratiquants qui se détournent ainsi de leur passé. «On quitte l'Église, mais que met-on à sa place? La Belgique n'est pas une société facile. Quel est le souffle que nous mettons à la place du souffle chrétien?» demande-t-il.

Damien Spleeters rétorque que sa rupture avec l'Église catholique ne représente en rien une rupture avec la spiritualité.

«Les membres de l'Église ont l'impression que les gens qui la quittent n'ont plus de relation au sacré, c'est faux(...) Je ne pense pas qu'il faut avoir un intermédiaire», souligne le jeune homme, qui se dit intéressé aujourd'hui par le bouddhisme.

Bien qu'il ait rompu avec l'institution religieuse de son enfance, M. Spleeters prévient que son fils, dont la naissance est prévue dans quelques mois, sera libre de choisir sa propre voie.

«S'il décide un jour lui-même de se faire baptiser, je n'y verrai aucun inconvénient. Je veux qu'il soit vrai envers lui-même», conclut-il.

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Le Luxembourg aussi touché

Il n'y a pas que la Belgique qui voit augmenter en son sein le nombre de demandes de débaptisation. Le Luxembourg a aussi enregistré une hausse importante de ces cas en écho à une campagne lancée début 2009 par l'association Liberté de conscience, qui défend la laïcité. L'un des membres de l'organisation, Jérôme Faber, explique que plus de 2500 personnes ont entrepris les démarches pour rompre formellement avec l'Église catholique depuis ce temps. Un certain nombre d'entre eux, précise-t-il, n'avaient plus de liens véritables et ont voulu «officialiser» leur situation. Une partie importante, ajoute M. Faber, ont été tellement scandalisés par les récentes affaires touchant l'institution religieuse qu'ils se sont dit «Maintenant, c'est assez!». L'association, ajoute-t-il, voulait initialement mettre en relief le fait que le nombre élevé de pratiquants déclarés ne correspond pas à la réalité puisque «les églises restent vides au Luxembourg».