Comment un candidat potentiel à la Maison-Blanche peut-il, en 2010, tenir des propos ambigus, voire admiratifs, au sujet d'une organisation vouée à la défense de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis et espérer vaincre le premier président noir de l'histoire américaine?

La question se pose à la suite d'un portrait publié la semaine dernière dans l'hebdomadaire conservateur The Weekly Standard sur Haley Barbour, un des politiciens les plus puissants du Parti républicain. Le gouverneur du Mississippi et président de l'Association des gouverneurs républicains y vante le rôle joué par les dirigeants du Citizens Council de sa ville natale, Yazoo City, pour empêcher le Ku Klux Klan de s'y implanter dans les années 50 et 60.

«Vous avez entendu parler des Citizens Councils? Les gens du Nord pensaient qu'ils étaient comme le Klan. D'où je viens, c'était une organisation de dirigeants locaux. À Yazoo City, ils ont adopté une résolution stipulant que quiconque fondait une section locale du Klan serait ostracisé», a répondu Haley Barbour au journaliste du Weekly Standard qui lui demandait pourquoi la déségrégation des écoles de Yazoo City s'était déroulée sans violence.

Le gouverneur du Mississippi a également déclaré que la période tumultueuse ayant marqué la lutte des Noirs américains pour leurs droits civiques ne lui avait pas semblé «si pire».

La lecture des propos de Barbour laisse croire que les Citizens Councils s'étaient efforcés d'assurer une intégration pacifique des écoles du sud des États-Unis, alors que ces organisations avaient été fondées, à partir de 1954, dans le but précis de lutter contre la déségrégation raciale. Pour parvenir à ses fins, le Citizens Council de Yazoo City a notamment eu recours comme moyen «pacifique» au congédiement ou au boycottage des citoyens noirs ayant signé une pétition en faveur de la déségrégation des écoles locales.

Les Citizens Councils ont plus tard sollicité des fonds pour la défense du meurtrier de Medgar Evers, ce militant de la lutte des droits civiques tué au Mississippi en 1963.

Esclavagisme et révision historique

Critiqué pour sa vision rose du passé sudiste, le gouverneur Barbour n'a pas tardé à publier une déclaration qualifiant d'«indéfendable» le rôle des Citizens Councils et de «douloureuse» pour le Mississippi, les Noirs et les États-Unis la période ayant marqué la lutte des Noirs pour leurs droits civiques.

Les propos originaux du gouverneur Barbour sont d'autant plus remarquables qu'ils s'inscrivent dans une révision du passé sudiste qui devrait atteindre son apogée en 2011 à l'occasion des «célébrations», dans plusieurs des anciens États confédérés, du 150e anniversaire du début de la guerre de Sécession.

La Virginie a donné un avant-goût de cette révision cette année en faisant d'avril le Mois de la Confédération par l'entremise d'une proclamation signée par le gouverneur républicain Bob McDonnell et stipulant qu'«il est important que tous les Virginiens reviennent sur notre histoire partagée pour comprendre les sacrifices des dirigeants confédérés, des soldats et des citoyens pendant la guerre de Sécession».

La proclamation a dû être modifiée, car elle ne mentionnait nulle part l'esclavagisme, à l'origine de la guerre qui opposa l'Union du Nord et la Confédération du Sud de 1861 à 1865.

L'esclavagisme a cependant été de nouveau occulté de la célébration organisée la semaine dernière à Charleston, en Caroline-du-Sud, pour souligner le 150e anniversaire de la sécession de cet État, où ont retenti les premiers coups de feu de la guerre civile.

«Nous honorons nos ancêtres pour leur bravoure et leur ténacité dans la défense de l'invasion de leurs maisons», a déclaré Michael Givens, un des organisateurs de l'événement.

»Terroristes» et «nazis»

Les Afro-Américains de la Caroline-du-Sud ne voient évidemment pas le passé sudiste du même oeil. Les dirigeants locaux de la NAACP, plus important groupe de défense des droits civiques des États-Unis, ont notamment comparé les dirigeants des États confédérés à des terroristes et à des soldats nazis qui ont trahi leur pays et causé la mort de 600 000 Américains.

«Les Allemands aussi avaient leur héritage. Pourquoi la Caroline-du-Sud et l'Amérique pensent-elles que l'héritage sudiste mérite d'être célébré?» a déclaré Lonnie Randolph, dirigeant de la NAACP.

Ce débat devrait continuer durant tout le 150e anniversaire du début des hostilités de la guerre de Sécession. Les défenseurs du passé sudiste tenteront de faire valoir que les soldats confédérés n'ont pas fait la guerre pour défendre l'esclavagisme, mais plutôt les «droits des États».

Mais les documents et discours de l'époque sont clairs à ce sujet, comme l'illustre cette déclaration de William Preston, dirigeant sécessionniste de Caroline-du-Sud: «L'esclavage est notre roi; l'esclavage est notre vérité; l'esclavage est notre droit divin.»