Les manifestations se succèdent ces jours-ci en Europe où les mesures d'austérité et les réformes draconiennes se multiplient. Le continent est-il à feu et à sang? Notre correspondant fait le point sur l'ampleur et l'avenir de cette grogne populaire.

À Londres, des manifestants furieux s'en prennent à la Rolls-Royce du prince Charles et de sa femme, Camilla, paniquée par l'assaut. À Rome, des étudiants croisent le fer avec les autorités, briques et bouteilles en main, transformant le coeur de la ville historique en zone de guerre pour quelques heures. Même scénario à Athènes, où un ancien ministre est sauvé in extremis d'une foule en colère qui menaçait de l'occire.

En quelques semaines, l'actualité européenne a fourni plusieurs images-chocs pouvant donner l'impression que les grandes villes du continent sont à feu et à sang, prises d'assaut par des hommes et des femmes indignés de se voir imposer de sévères plans d'austérité par leurs dirigeants.

La faible mobilisation observée dans la plupart des pays ayant répondu mercredi à l'appel à manifester de la Confédération des syndicats européens (CSE) démontre que la situation est loin d'être aussi tranchée que ne le suggèrent les caméras.

Mis à part en Grèce, où un appel à la grève générale a encore une fois été largement suivi, les rassemblements observés se limitaient souvent à quelques milliers de personnes, voire quelques centaines, alors que l'organisation se targue de représenter plus de 60 millions de travailleurs à l'échelle du continent.

Ce n'est pourtant ni plus ni moins que l'avenir de «l'Europe sociale» qui est en jeu, selon le secrétaire général de la CSE, John Monks, qui presse les élus du continent de «suspendre leurs attaques contre les salaires».

«Les populations sont désorientées (par la crise). Il est difficile dans ce contexte de construire une mobilisation structurée et permanente», relève Philippe Askenazy, professeur à l'École d'économie de Paris.

«Culture du conflit» en France

Pour l'heure, les réactions varient largement d'un pays à l'autre en fonction des pratiques culturelles locales et de la sévérité des mesures imposées.

En France, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a dû batailler pendant des mois pour introduire une réforme des retraites «qui n'avait rien de bouleversant» par rapport à ce que l'on voit dans d'autres pays, note Bernard Vivier, qui dirige l'Institut supérieur du travail.

Parallèlement, la population irlandaise vient de se voir imposer un nouveau plan d'austérité de 15 milliards d'euros prévoyant des baisses d'allocations familales et de chômage, des coupes de postes dans la fonction publique, une hausse de la TVA, etc. sans véritablement sourciller.

La tradition du pays, relève en entrevue M. Vivier, est de «procéder par recherche de consensus» alors que «la culture du conflit» domine dans l'Hexagone, qui aura fort à faire pour redresser les finances publiques dans les années à venir.

Dans une récente entrevue au magazine L'Expansion, le sociologue irlandais Laurence Cox relevait l'existence dans son pays d'une forte tradition clientéliste voulant que les syndicats et les groupes d'intérêts traitent directement avec un membre du Parlement ou un ministre plutôt que de descendre dans la rue.

Il est cependant difficile de prévoir ce qui arrivera, ajoutait-il, lorsque les mesures annoncées par le gouvernement de Brian Cowen, au plus bas dans les sondages, commenceront à frapper véritablement les classes populaires.

Le Royaume-Uni va changer

La même question se pose chez leurs voisins anglais, où M. Monks dit observer la montée d'un mouvement de contestation sans précédent. «Le Royaume-Uni est un pays pacifique et placide en général mais son image va changer dans les mois à venir», a souligné il y a quelques jours le syndicaliste au site Mediapart.

M. Askenazy craint que les mesures d'austérité et la détérioration du tissu social qui en découle fassent à terme le jeu des organisations extrémistes et de leurs solutions «simplistes» et «rétrogrades». Nombre de formations d'extrême-droite ont aujourd'hui le vent dans les voiles en Europe, portés en partie par la montée de l'insécurité économique.

Le risque de dérives est amplifié, dit-il, par la sévérité des mesures imposées par l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) aux pays forcés de réclamer une aide financière pour échapper aux pressions des marchés.

Les élus européens jouent «aux apprentis sorciers» avec la population du continent en tentant de faire passer dans l'urgence des réformes drastiques inspirées d'un modèle néolibéral qui a perdu toute crédibilité lors de la crise, relève le chercheur.

«Le fondement scientifique (du modèle) est en train de s'écrouler. Il ne reste plus que l'idéologie», résume M. Askenazy, qui presse les États de prendre des mesures pour protéger les plus démunis plutôt que les intérêts des grandes institutions financières.

«On joue avec le feu démocratique», prévient-il.