Liliana Lazar a appris ses premiers rudiments de français sur les bancs d'école, en Roumanie, d'une enseignante qu'elle devait saluer - communisme oblige -, par un retentissant «Bonjour, camarade professeur».

La jeune élève rêvait de la France, «un pays lointain» qui la fascinait par son histoire et sa culture, sans s'imaginer qu'elle épouserait un jour un ressortissant du pays, s'y installerait et écrirait des romans dans la langue locale, qu'elle maîtrise aujourd'hui à la perfection.

«Je me suis fait dire plusieurs fois que mon français était trop littéraire, que j'employais des expressions désuètes», dit Mme Lazar, qui vient de se voir décerner par l'Organisation internationale de la francophonie un prestigieux prix littéraire.

Les Français sont «généralement fiers de leur langue», mais ils ne ressentent pas comme une «préoccupation quotidienne» la nécessité de la préserver, note l'écrivaine, qui s'attriste de voir certains jeunes «écrire presque au son».

Comme Mme Lazar, nombre de francophones et de francophiles projettent sur la France des attentes auxquelles le pays n'est pas toujours en mesure de répondre.

Le président français, Nicolas Sarkozy, en a fait l'expérience en 2008 lorsqu'il a décidé, pour cause de crise économique, d'écourter sa participation au sommet de la Francophonie, à Québec.

Régis Ravat, président d'une petite association française vouée à la défense de la langue, croit que ce geste était le reflet de «l'indifférence» de Sarkozy à l'égard de la situation du français et, plus généralement, de la francophonie.

«Il a fait sur le sujet un grand discours à Caen en 2007 qui est resté sans suite. Le bilan est catastrophique», souligne M. Ravat, qui s'émouvait cette semaine de l'ouverture à Reims d'un campus de Sciences po où l'anglais est la langue d'enseignement.

«C'est la cité des rois de France», s'indigne le porte-parole, qui reproche à son pays «de ne pas montrer l'exemple».

Le sociologue français Dominique Wolton, auteur d'un récent ouvrage sur la francophonie, reproche au gouvernement sa passivité. La France finance largement l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) «mais n'a pas de véritable politique relativement à la francophonie», dit le chercheur, qui reproche aux élites du pays de manquer de fierté.

«La francophonie est jugée vieux jeu, ringarde et dépassée», indique M. Wolton, qui dénonce aussi la passivité de la «francophonie institutionnelle» incarnée par l'OIF, engoncée, selon lui, dans «le protocole et les tapis rouges».

«Le français est la langue la mieux adaptée à l'amour, à la liberté, et on n'en fait rien!» s'emporte-t-il.

La France moins influente?

François-Michel Gonnot, député de la majorité qui avait mené bataille il y a quelques années pour dénoncer le fait que le candidat français au concours de chant Eurovision ne devait chanter qu'en anglais, pense que la France pourrait faire plus. Tant dans ses frontières qu'à l'extérieur.

La langue parlée en France s'émaille petit à petit de mots anglais, une évolution qui reflète le fait que la population ne se sent pas menacée sur le plan linguistique ou culturel. «C'est vrai qu'on n'a pas toujours l'épée à la main pour défendre ce qui nous semble parfois acquis», dit-il.

Les élus français, ajoute M. Gonnot, auraient dû batailler plus ferme pour préserver la place du français dans le monde scientifique ou encore diplomatique.

Le gouvernement n'en demeure pas moins très attaché à la défense de la langue et à la promotion de la francophonie, assure-t-il.

«C'est certain qu'on n'en fait jamais assez. Mais ça reste une préoccupation constante», indique le député, qui voit comme un «geste d'amour» l'indignation qu'avait soulevée le départ hâtif de Nicolas Sarkozy au sommet de Québec en 2008.

Laurent Gajo, universitaire suisse qui chapeaute les États généraux du français en Francophonie, pense que les attentes à l'égard de la France ont tendance à reculer à mesure qu'évoluent les rapports de pouvoir dans l'organisation.

Sur le plan de la langue, la politique française n'est plus un modèle. Idem sur les plans culturel et diplomatique, estime le chercheur, qui a côtoyé aux fins de ses travaux des intervenants d'un grand nombre de pays.

«La France occupe une place dans la francophonie, et c'est une place de plus en plus comme les autres», juge M. Gajo.

Liliana Lazar ne pense pas que le français puisse un jour s'imposer comme langue des affaires ou dans les instances internationales, quoi que fasse le gouvernement français. Mais il faut tout de même le défendre férocement, notamment au nom de la diversité, dit-elle.

«Au-delà de la diversité, il y a une richesse énorme à préserver. C'est une langue qui est porteuse de valeurs, d'un passé», souligne l'écrivaine.