Qui prendra la place de Barack Obama le 2 novembre? Dans l'État de l'Illinois, le siège de sénateur qu'occupait le politicien démocrate avant d'être élu à la Maison-Blanche est en jeu. Un ami du président, Alexi Giannoulias, se présente à ce poste pour les démocrates. Or, sa candidature à du plomb dans l'aile. S'il est vaincu, le contrôle du Sénat américain au grand complet pourrait tomber entre les mains des républicains, explique notre journaliste.

Edward Ballard a 66 ans et il n'a jamais voté pour un candidat républicain de sa vie. Le 2 novembre, ce citoyen de l'Illinois remettra ça. Il votera pour le candidat du Parti démocrate au Sénat américain. Mais cette fois, précise-t-il, il se pincera le nez.

S'il ne porte pas le candidat républicain dans son coeur, il se méfie tout autant de son rival démocrate. «On a le choix entre un voleur et un menteur!» résume ce solide gaillard, avec une certaine lassitude dans le regard.

«Mais vous savez, à Chicago, lorsqu'on parle de politique, il y a un célèbre dicton», prévient-il. Et d'ajouter: «C'est peut-être un voleur, mais c'est notre voleur!»

Edward Ballard est loin d'être l'exception qui confirme la règle en Illinois. À Hyde Park, quartier multiethnique de Chicago où nous l'avons rencontré, à peu près tous les démocrates exprimaient les mêmes réserves quant au candidat du parti, Alexi Giannoulias.

Or, Hyde Park est le fief de Barack Obama. Et par conséquent un bastion démocrate. Où Alexi Giannoulias devrait logiquement faire l'unanimité.

Il est toutefois loin, bien loin de susciter l'enthousiasme juvénile provoqué jadis par son ami et mentor, Barack Obama.

«Quand Barack était candidat au Sénat (en 2004), je n'ai pas hésité une seconde. Mais cette fois, je n'ai pas encore décidé pour qui je vais voter», confesse pour sa part Pamela Cook, enseignante au chômage depuis juin dernier.

Ce qui l'embête chez Giannoulias? «Son passé pose problème», explique cette quinquagénaire alors qu'elle termine une omelette au restaurant Valois, populaire cafétéria où l'actuel président américain aimait déjeuner.

Basketball avec Obama

Ces squelettes dans le placard sont mis bien en évidence chaque jour en Illinois. Dans les nombreuses publicités négatives diffusées en boucle à la télé. On y rappelle que le candidat démocrate a prêté des millions à plusieurs criminels notoires. Il travaillait alors pour une importante banque fondée par son père.

On rappelle aussi qu'Alexi Giannoulias, élu trésorier de l'Illinois en 2006, était responsable d'un régime d'épargne-études qui a fait perdre aux parents la moitié de l'argent qu'ils y avaient investi.

À la base, pourtant, il semblait tout avoir pour réussir en politique. La Presse a pu le voir en action cette semaine. Il participait à une conférence annuelle sur les femmes et la finance à Chicago. Il a livré un court discours avec brio et a reçu des applaudissements nourris.

Sur scène, il communiquait avec aisance. Aidé à la fois par sa gueule d'acteur, son corps d'athlète - il a fréquemment joué au basketball avec Barack Obama - et sa voix de stentor.

Ses liens avec la famille Obama l'aident aussi à ne pas s'effondrer dans l'opinion publique. Mercredi, Michelle Obama était de passage à Chicago pour lui donner un coup de pouce, à l'occasion d'une soirée de souscription. Elle a dit l'avoir «vu grandir» et en a fait l'éloge. «Mon mari n'y arrivera pas tout seul, a-t-elle prévenu. Il a besoin de leaders comme Alexi à ses côtés.»

Mais ce qui joue le plus en sa faveur, c'est que son adversaire n'a pas, lui non plus, la cote. Mark Kirk, candidat républicain, est membre de la Chambre des représentants au Congrès américain depuis dix ans.

Il était donc plutôt populaire en Illinois. Jusqu'à ce qu'on découvre, au cours des derniers mois, qu'il avait menti sur ses états de service dans l'armée américaine. Entre autres en affirmant qu'il avait été la cible de tirs en survolant l'Irak. Ou qu'on l'avait nommé officier de l'année dans le secteur du renseignement de la marine américaine.

Trophée politique

Mark Kirk a présenté ses plus plates excuses l'été dernier, mais le mal était fait. Aujourd'hui, même au sein du district qu'il représente au Congrès, on hésite à dire ouvertement qu'on votera pour lui.

«Je vote habituellement pour les républicains. Mais je suis un ancien militaire. Et quand quelqu'un bullshite au sujet de l'armée, ça me dérange», affirme Joseph Pirelli, assis au bar de la taverne Green Town. L'établissement est situé à quelques rues du bureau du candidat républicain à Waukegan, municipalité de la banlieue nord de Chicago.

Jason Clark, rouquin trapu de 42 ans qui travaille dans le domaine du théâtre, semble plus passionné par son assiette d'ailes de poulet que par le scrutin. Il ne sait pas non plus s'il votera pour Mark Kirk. «Je dois continuer à lire au sujet des candidats... Entre deux maux, je veux être capable de choisir le moindre!» lance-t-il.

L'Illinois au grand complet a du mal à trancher. Selon le plus récent sondage du Chicago Tribune, les deux candidats sont à égalité. Alexi Giannoulias récolte 38% des intentions de vote. Son rival républicain en obtient 36%.

Un résultat si serré, dans cet État à forte tendance démocrate, signifie que les nouvelles sont mauvaises pour le parti de Barack Obama. Le président est vraisemblablement inquiet. Il s'est déplacé lui-même deux fois à Chicago depuis le mois d'août pour promouvoir son poulain.

L'enjeu est d'autant plus important en raison de la charge symbolique du scrutin. Si les républicains arrivent à ravir le siège qui appartenait au président, ce sera pour eux «le trophée politique ultime» a estimé le sénateur démocrate du New Jersey, Robert Menendez.

Le Titanic et l'iceberg

Mais une victoire républicaine pourrait être bien plus que symbolique, explique Paul Green, politologue à la Roosevelt University. «Le plus crucial, c'est qu'il s'agit d'une des rares courses au Sénat américain dont on ne connaît pas déjà l'issue. Elle pourrait donc déterminer quel parti va contrôler le Sénat», dit-il. Au total, le 2 novembre, 37 des 100 sièges du Sénat américain sont en jeu. Tout comme l'ensemble des sièges de la Chambre des représentants.

Pour ce politologue coloré, qui s'est présenté à l'entrevue une casquette des Blackhawks de Chicago vissée sur la tête, l'impact national est d'autant plus primordial que la course elle-même n'a jusqu'ici donné lieu à rien de bien constructif.

«L'enjeu le plus important c'est l'emploi. Mais ces candidats n'ont pas d'idées nouvelles à proposer, déplore le politologue. Alors, il n'y a que des attaques personnelles. À mon sens, si l'Illinois est le Titanic, nous avons frappé un iceberg et ces gars discutent de ce qu'il y aura au menu, demain, au déjeuner.»

Sirois, AlexandreLe siège du scandale

Avant de provoquer une lutte sans merci entre les candidats démocrate et républicain, le siège occupé jadis par Barack Obama au Sénat américain a suscité... un véritable scandale. Lorsqu'il est devenu président, son siège devait être comblé de façon temporaire, soit jusqu'aux élections de novembre 2010. C'est le gouverneur de l'État de l'Illinois qui dispose, dans ce cas, du pouvoir de nommer un candidat de son choix. Or, le FBI a découvert que Rod Blagojevich, gouverneur à l'époque, a essayé de monnayer ce pouvoir. Il voulait, littéralement, donner le siège au plus offrant. Avant d'être démis de ses fonctions, il a néanmoins nommé un successeur à Barack Obama: Roland Burris. Cet ancien procureur général de l'Illinois est actuellement le seul Noir au Sénat américain. Homme de la controverse, il a décidé de ne pas être candidat, cette année, à sa propre succession.