Attaques contre les jeunes filles non voilées, gardiens de la morale dans les rues, interdiction de vente d'alcool et de tabac... Officiellement partie intégrante de la Fédération de Russie, la Tchétchénie est dans les faits devenue un État islamique. Premières victimes de ce «retour aux traditions tchétchènes» prôné par le jeune leader autoritaire Ramzan Kadyrov: les femmes.

Par une journée chaude de juillet, Raïssa se baladait cheveux au vent sur la clinquante avenue Poutine, artère principale de Grozny, lorsqu'une voiture noire sans plaque d'immatriculation s'est approchée d'elle. «Porte le foulard!» a-t-elle entendu crier avant de recevoir sur la cuisse un projectile d'un pistolet de paintball.

«Depuis, je mets le foulard et je suis tranquille, confie la jeune femme de 29 ans. De toute façon je ne pourrais rien faire. Je n'ai pas d'arme et ces gens sont soutenus par Kadyrov.»

Raïssa est loin d'être la seule à avoir subi cette vexation. Au cours des derniers mois, des dizaines de jeunes femmes ont été attaquées au pistolet à peinture par des inconnus dans la capitale tchétchène. D'autres se sont fait bousculer et tirer les cheveux.

Le président de la République, Ramzan Kadyrov a affirmé à la télévision locale: «Je ne sais pas qui sont les assaillants mais, quand je l'apprendrai, je leur ferai part de ma gratitude.»

C'est que, depuis son arrivée au pouvoir suprême en 2007, le leader de 33 ans a entrepris de faire renouer les Tchétchènes avec leurs traditions religieuses ancestrales, très conservatrices.

Foulard obligatoire

À peine nommé dans ses fonctions par le président russe d'alors, Vladimir Poutine, il avait signé un décret obligeant les femmes à porter le foulard dans les immeubles officiels. Le règlement est inconstitutionnel dans la Russie laïque, mais Moscou n'a jamais osé contester la décision de son fidèle allié, garant de la relative stabilité dans cette région trouble.

Cette année, durant le ramadan, qui s'est terminé récemment, des «gardiens de la morale» ont fait leur apparition dans l'avenue Poutine. Postés devant la Maison de la mode, ces jeunes hommes en tenue islamique ample et sobre interpellaient les passantes habillées de façon «indécente».

«Nous disons aux jeunes filles qui ne portent pas le foulard ou qui se baladent en jupe courte de respecter l'islam dans les endroits publics», explique Hossein, l'un de ces gardiens, qui travaille pour le Centre d'éducation morale et spirituelle, fondé par Ramzan Kadyrov il y a deux ans.

L'avertissement n'est qu'une suggestion, précise Hossein. Pour le ramadan, les commerces de Grozny ont eux aussi eu droit aux «suggestions» des gardiens de la morale employés par l'État.

Résultat: presque tous les cafés et restaurants de la ville ont fermé pour un mois. Seuls quelques-uns ouvraient la nuit tombée, après la fin du jeûne.

Voiler sa fille

La vente d'alcool, déjà limitée à deux heures par jour en temps normal, était officieusement interdite. Les cigarettes, invisibles dans les présentoirs, étaient vendues dans la plus grande discrétion.

Dans la rue, si certaines femmes écoutent, un peu gênées, le discours de Hossein et de ses pairs, d'autres préfèrent passer outre à leurs appels répétés et parfois agressifs. Conscientes du poids des traditions et du pouvoir absolu de Kadyrov, la plupart des femmes tchétchènes se résignent.

Sonia, enseignante de 38 ans et musulmane pratiquante qui se déclare féministe, n'aime pas porter le foulard. «Mais je suis obligée, sinon je perdrais mon travail.» Selon elle, sa hantise du foulard vient du fait qu'elle a été «corrompue par l'époque soviétique».

Elle se promet ainsi d'élever ses futurs enfants dans l'islam. «Ma fille portera le foulard dès le bas âge pour qu'elle n'ait pas le dilemme psychologique que j'ai eu de le mettre ou non», tranche Sonia.