Dans un mois, jour pour jour, les Américains seront appelés aux urnes à l'occasion d'élections dites de mi-mandat. Ells seront perçues non seulement comme un référendum sur la performance du Congrès à majorité démocrate mais également sur celle de Barack Obama à la Maison-Blanche. Le scrutin constituera en outre le premier véritable test électoral du Tea Party, ce mouvement de contestation populiste dont l'influence se fait notamment sentir dans la course sénatoriale du Delaware, comme le raconte notre journaliste.

Un gag national: voilà ce qu'est devenue la candidature de Christine O'Donnell au Sénat des États-Unis depuis le 14 septembre, date de sa victoire-surprise à l'occasion d'une primaire républicaine tenue au Delaware.

Les médias ont ressorti les clips des déclarations les plus sensationnelles de cette commentatrice et spécialiste du marketing à la fois photogénique et volubile, âgée de 41 ans. On l'a notamment vue comparer la masturbation à l'adultère, admettre avoir tâté de la sorcellerie à l'adolescence et qualifier l'évolution de «mythe», lors d'émissions de télévision entre 1996 et 1999.

Et ce n'est pas fini. L'humoriste et animateur de HBO Bill Maher a promis de diffuser une vidéo compromettante de Christine O'Donnell par semaine, et ce, jusqu'à ce qu'elle accepte de venir sur le plateau de son émission Real Time. Il a l'embarras du choix. La pasionaria des valeurs chrétiennes et nouvelle égérie du Tea Party a participé à son ancienne émission, Politically Incorrect, à 22 reprises.

Mais au Delaware, petit État de 885 000 habitants coincé entre le New Jersey et le Maryland, les supporteurs de la candidate républicaine accueillent avec des haussements d'épaules la dérision de ce qu'ils appellent les «élites». Et ils prédisent une autre surprise le 2 novembre, date des élections de mi-mandat aux États-Unis.

«Je crois sincèrement que les pontes et les experts politiques n'ont pas encore saisi ce qui se passe», dit Russ Murphy, fondateur et directeur du groupe 9-12 Delaware Patriots, en buvant un café dans un restaurant situé en face de la piste internationale de Dover, où se tiennent des épreuves de la série NASCAR.

Inspiré par Glenn Beck

«Les gens en ont ras-le-bol du statu quo politique», ajoute ce vétéran du Vietnam qui ne fait pas ses 66 ans avec sa veste en cuir, ses cheveux encore blonds et ses yeux bleus vifs.

Peu de temps après avoir pris sa retraite comme routier - il avait auparavant travaillé pendant plusieurs années comme gardien de sécurité dans une centrale nucléaire -, Russ Murphy s'est inspiré du Projet 9-12 (neuf «valeurs» et 12 «principes») de l'animateur de Fox News Glenn Beck pour fonder son groupe de patriotes, qui revendique aujourd'hui plus de 3000 membres.

«L'establishment actuel ne tient aucunement compte de la Constitution», dit-il en expliquant sa décision de s'engager pour la première fois de sa vie dans une cause politique. «J'ai l'impression qu'on cherche à nous imposer un gouvernement mondial», ajoute-t-il en accusant Barack Obama de détruire «le rêve américain».

Le soir de sa victoire-surprise, Christine O'Donnell a invité Murphy à prendre la parole devant ses supporteurs, reconnaissant explicitement le rôle de groupes comme le sien dans la mobilisation de l'électorat conservateur. Son succès inattendu participe d'un phénomène qui a permis à plusieurs autres candidats anti-establishment de triompher dans des primaires républicaines tenues d'un bout à l'autre des États-Unis depuis le début de l'année.

Reste à voir quel impact aura sur les élections du 2 novembre, ainsi que sur le Congrès américain, ce mouvement de contestation populiste, connu sous le nom de Tea Party. Mouvement dont Russ Murphy et les membres de son groupe sont une manifestation typique.

En attendant, les démocrates du Delaware se pincent. Car Christine O'Donnell a complètement changé la donne en triomphant le 14 septembre face au candidat préféré de l'establishment républicain, Mike Castle, ex-gouverneur et représentant de l'État.

»Cette femme nous fait peur»

Donné perdant contre Castle, le candidat démocrate Chris Coons, un élu du comté de New Castle, s'est retrouvé du jour au lendemain en tête dans les sondages, qui le créditent d'une avance d'au moins neuf points sur Christine O'Donnell.

«Elle a dit plusieurs choses démentes», a déclaré Karl Rove, ancien stratège de George W. Bush, le soir de la primaire républicaine, prédisant la défaite d'O'Donnell, qui jouit de l'appui de Sarah Palin et de plusieurs autres ténors conservateurs, dont l'animateur de radio Rush Limbaugh.

Rove ne faisait pas seulement référence aux commentaires de la candidate républicaine sur ses croyances, mais également à ses explications pas toujours limpides sur ses problèmes financiers et son parcours universitaire. Dénoncé par les Palin, Limbaugh et cie pour ses propos critiques, il est par la suite revenu sur sa prédiction en affirmant que la favorite du Tea Party avait encore une chance de l'emporter.

Sur le campus de l'Université du Delaware, à Newark, cette possibilité, aussi ténue soit-elle, a tiré plusieurs étudiants de leur apathie à l'approche des élections de mi-mandat, selon Bill Humprey, président des College Democrats.

«Le niveau de motivation et d'intérêt a monté d'un cran depuis la victoire de Christine O'Donnell dans la primaire républicaine. C'est simple, cette femme nous fait peur. Si elle devait gagner, le Delaware deviendrait la risée du pays», a-t-il dit après un rassemblement auquel avaient participé Chris Coons et Tim Kaine, président du comité national du Parti démocrate, entre autres.

Environ 100 personnes s'étaient déplacées mardi soir pour assister à ce rassemblement tenu dans un auditorium qui aurait pu en accueillir trois ou quatre fois plus.

Une candidate invisible

Pendant ce temps, O'Donnell était invisible. Le 21 septembre, elle avait annoncé à l'animateur de Fox News Sean Hannity sa décision de ne plus accorder d'entrevues aux médias nationaux afin de concentrer son énergie sur les électeurs et les médias du Delaware.

Elle suivait ainsi l'exemple d'au moins deux autres candidats sénatoriaux soutenus par le Tea Party, Sharon Angle du Nevada et Rand Paul du Kentucky, qui ont choisi de boycotter les grands journaux et les grandes chaînes.

«Ils essaient de me dépeindre comme une extrémiste, de sorte que les gens ne puissent prêter attention à mon message», a déclaré O'Donnell à Hannity en parlant des médias nationaux.

Mais la candidate républicaine n'a participé à aucune activité publique au Delaware cette semaine et n'a accordé aucune entrevue aux médias locaux, qui auraient notamment voulu lui poser des questions sur son curriculum vitae, dont la véracité est contestée.

Si cette campagne peu orthodoxe inquiète les supporteurs de Christine O'Donnell, ils le cachent bien.

«Elle est venue nous rencontrer à plusieurs reprises et a répondu à toutes nos questions», dit Alex Garcia, un autre membre des 9-12 Delaware Patriots. «Elle tient le même langage que nous. Elle veut réduire la taille du gouvernement fédéral, le ramener au niveau des gens, baisser les impôts, respecter les principes et les valeurs de nos Pères fondateurs.»

«Les médias peuvent dire et écrire ce qu'ils veulent, ajoute cet homme de 49 ans. En ce qui nous concerne, ils font partie du problème.»