Sur fond de tiraillements syndicaux, les Français ont encore une fois défilé un peu partout au pays hier pour protester contre la réforme des retraites.

L'Élysée, en se basant sur des chiffres préliminaires, a déclaré dès le début de l'après-midi que le nombre de participants s'avérait «sensiblement» plus faible que le 7 septembre, alors que plus de 1 million de personnes étaient descendues dans la rue.

Les dirigeants syndicaux ont soutenu le contraire, arguant que la mobilisation, oscillant autour de 3 millions de personnes, était supérieure à celle de la précédente journée de grève.

Leur solidarité risque malgré tout d'être mise à l'épreuve ce matin alors qu'ils doivent se réunir pour décider des suites à donner au mouvement.

Au cours des derniers jours, des tensions de plus en plus vives sont apparues quant à la voie à suivre pour faire plier le chef d'État, Nicolas Sarkozy.

Certaines organisations évoquent la nécessité de passer à une grève reconductible plutôt que de se contenter de journées espacées dans le temps. C'est le cas notamment de Sud-Rail, troisième syndicat en importance au sein de la Société nationale des chemins de fer (SNCF).

«Nous considérons que la seule chose susceptible de faire reculer le gouvernement est un mouvement reconductible de grande ampleur», a déclaré hier à La Presse le secrétaire fédéral de l'organisation, Alain Cambi.

»Faire reculer Sarko»

Force ouvrière veut aussi accroître «le rapport de force» avec le gouvernement, éventuellement par des grèves reconductibles si les salariés sont d'accords, note Didier Hotte, adjoint au secrétaire général du syndicat, Jean-Claude Mailly.

«Les manifestations saute-mouton sont vouées à s'essouffler, on le sait tous», prévenait ce dernier il y a quelques jours.

La CFDT et la CGT, poids lourds du mouvement syndical, se montrent cependant plus que réservées face à l'idée d'une grève reconductible. Selon Le Figaro, ils pencheraient plutôt pour la tenue de deux autres journées de mobilisation en octobre.

La stratégie à suivre fait aussi polémique parmi les manifestants rencontrés hier à Paris à la place de la Bastille.

«La CGT a toujours été un syndicat dur, militant. Là, ils deviennent pires que la CFDT (syndicat traditionnellement modéré)... Ils se rapprochent énormément du gouvernement», s'énerve Mohammed Basset, qui est membre de Force ouvrière.

Cet employé de Renault de 58 ans, transformé en homme-sandwich par des panneaux couverts de slogans contre la réforme, pense que la grève reconductible est la seule manière de «faire reculer Sarko».

Débattu au Sénat

Goanny Poncet, qui travaille dans le secteur de l'alimentation, réclame une radicalisation beaucoup plus marquée du mouvement. «Je n'ai qu'une envie, c'est de repartir en grève demain et après-demain... En 68, il y avait 10 millions de personnes en grève et le pouvoir a été obligé de négocier. Si nous sommes très nombreux, nous n'aurons pas besoin de manifester très longtemps pour obtenir gain de cause», déclare l'homme de 28 ans.

Le ministre du Travail, Éric Woerth, répète pour sa part qu'il n'a aucune intention de revoir le coeur de la réforme, qui prévoit notamment de faire passer l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans d'ici 2018. Le projet de loi, déjà voté à l'Assemblée nationale, doit être débattu au Sénat dans les premières semaines du mois d'octobre.

Le gouvernement doit composer avec l'opposition de la population française, qui appuyait, à hauteur de 68%, la journée de débrayage d'hier selon un sondage.

«Beaucoup de salariés qui n'ont pas le courage pour l'heure de sortir dans la rue soutiennent le mouvement», se félicite M. Poncet. Il est convaincu que la partie est loin d'être jouée, malgré les affirmations contraires de l'Élysée. «La force est en nous», dit le manifestant.