Interdiction de circuler sans escorte militaire, interdiction de parler aux employés immigrants de la base, interdiction d'apporter autre chose qu'un crayon et un calepin au tribunal, interdiction de photographier les clôtures, les antennes, les détenus, les dispositifs de sécurité, l'ensemble du campement avec la vue sur l'océan derrière.

Avant même de mettre le pied sur la base militaire de Guantánamo Bay, tristement célèbre pour les prisonniers «terroristes» qu'elle abrite, la liste des interdictions et autres règlements de l'armée américaine donne déjà mal à la tête.

À l'heure du départ de la base militaire d'Andrews, dans le Maryland, les journalistes accrédités par le Pentagone pour couvrir les commissions militaires à Guantánamo, dont le procès tant attendu du Canadien Omar Khadr, doivent signer une décharge: le gouvernement américain, ses représentants et son armée ne peuvent être traduits en justice pour aucun tort causé, même si un membre des médias mourait des suites d'une négligence ou autre.

Passé le choc de la chaleur tropicale et de l'humidité saisonnière du mois d'août à Cuba, un constat s'impose dès la descente de l'avion militaire: on ne rigole pas avec les règles de l'armée américaine.

La preuve: quatre journalistes vétérans de Guantánamo ont été bannis de la base, en mai dernier, après avoir révélé le nom, déjà public, d'un témoin au procès d'Omar Khadr, qui ne devait être identifié, après ordre du juge Patrick Parrish, que par le titre «interrogateur #1». Trois d'entre eux ont depuis été réadmis.

Le traitement des journalistes a évolué passablement depuis qu'ils sont admis sur la base. Ceux qui sont affectés à la couverture des procès logent maintenant au bien nommé Camp Justice, à un jet de pierre des deux salles d'audiences aménagées pour juger les présumés terroristes.

L'armée américaine y a aménagé de vastes tentes militaires transformées en petits dortoirs, climatisées et fixées sur des planchers de bois.

»Chambre de la censure»

La liberté de mouvement des journalistes se limite à pouvoir circuler à pied entre les tentes et le «centre des médias», trois pièces avec écrans géants et connexion Ethernet, installé dans un vieux hangar aux fenêtres cassées. Les militaires y ont aménagé une salle de conférence, rebaptisée «chambre de la censure» par les équipes de télévision, vidéastes et photographes, forcés de faire approuver chaque image, photo ou séquence par un officier américain. Les prises de bec n'y sont pas rares.

Dans son livre devenu la bible des journalistes qui se rendent sur place: Guantánamo's Child: The Untold Story of Omar Khadr, la journaliste du Toronto Star Michelle Shephard résume ainsi les relations tendues entre militaires et membres des médias: «L'armée entraîne ses soldats à suivre les règles et ne jamais remettre en question l'autorité. La vie entraîne les journalistes à faire exactement le contraire.»

Les mesures de sécurité, aussi, donnent dans l'extrême. À titre d'exemple, la salle d'audience #1, où s'est entamé en août le procès d'Omar Khadr, - détenu depuis huit ans à Guantánamo et inculpé du meurtre d'un soldat américain -, se trouve à environ 100 mètres du centre des médias, en ligne droite. Mais pour y accéder, les médias doivent être escortés, faire plusieurs détours, traverser deux détecteurs de métal, des fouilles et se faire répéter les règles chaque fois: pas d'eau, pas de nourriture, pas de téléphone, pas d'enregistreuse, pas de contact avec l'accusé, vous ne pouvez pas revenir dans la salle si vous en sortez. Résultat, le départ pour le tribunal se fait, en groupe, 45 minutes avant le début des audiences. Et gare aux retardataires: la porte sera fermée. Ne soyez pas en retard pour souper non plus. Le minibus conduit par un soldat-escorte quitte à 19h30, heure militaire. Point. Interdiction de critiquer.

Photo: PC

La promiscuité de l'endroit fait en sorte que tous les acteurs du procès d'Omar Khadr se croisent même lorsque les audiences sont terminées. Le procureur du gouvernement, Jeff Groharing (au centre), discute avec les reporters au moment de quitter Guantánamo.