Des enregistrements illicites, des soupçons d'évasion fiscale et un ministre forcé de clamer son innocence... Ce qui n'était jusque-là qu'une ubuesque querelle familiale opposant la plus riche femme de France, Liliane Bettencourt, à sa fille tourne à la crise politique pour le gouvernement français.

La guerre intestine opposant Liliane Bettencourt à sa fille tourne à l'affaire d'État en raison du contenu explosif de conversations privées enregistrées à l'insu de la riche héritière de L'Oréal.

 

Le site Mediapart a mis le feu aux poudres la semaine dernière en dévoilant l'existence et la teneur de ces enregistrements, réalisés entre mai 2009 et mai 2010 par le maître d'hôtel de Mme Bettencourt.

Ils suggèrent que les conseillers financiers de la plus riche femme de France ont manoeuvré pour cacher au fisc français des sommes de plusieurs dizaines de millions d'euros placées à l'étranger, en particulier en Suisse. Et que Mme Bettencourt est propriétaire, par l'entremise de sociétés écrans, d'une île située dans les Seychelles.

Ces révélations sont particulièrement problématiques pour l'actuel ministre du Travail, Eric Woerth, ex-ministre du Budget, parce que sa femme, Florence, travaille depuis 2007 pour la société de gestion du patrimoine de Mme Bettencourt.

Le patron de la société de gestion, Patrick de Maistre, qui figure dans les enregistrements, indique à sa patronne avoir embauché Mme Woerth «à la demande» de l'ex-ministre du Budget, qui était responsable de la lutte contre l'évasion fiscale.

L'héritière manipulée?

L'opposition est montée au créneau au cours des derniers jours, accusant le ministre de conflit d'intérêts.

«Est-ce que M. Woerth, quand il était ministre du Budget, a vraiment fait en sorte que l'administration fiscale mène toutes les enquêtes sur la fiscalisation des avoirs de Mme Bettencourt?» a demandé Harlem Désir, numéro 2 du Parti socialiste.

«Est-ce qu'il y a eu ou non confusion des genres? De toute évidence, oui», a-t-il noté.

Eric Woerth a d'abord cherché à écarter les allégations en soutenant qu'il était l'objet d'une tentative de «déstabilisation». Il a changé de cap lundi en annonçant en personne que sa femme allait bientôt démissionner de la société de gestion de Mme Bettencourt.

Hier, le politicien a assuré que le départ de sa conjointe était lié au fait qu'elle s'entend mal avec son supérieur et n'avait rien à voir avec la polémique actuelle.

Mme Bettencourt a quant à elle souligné, par communiqué, son intention de régulariser sa situation avec le fisc en rapatriant les sommes placées à l'étranger.

Les bandes qu'a révélées Mediapart ont été remises à la justice française par la fille de Mme Bettencourt, Françoise, qui a engagé en 2007 une bataille juridique contre un photographe, François Marie-Banier, proche de sa mère.

Elle l'accuse d'avoir abusé de son influence auprès de l'héritière pour lui arracher plus d'un milliard d'euros de «dons». Le principal intéressé, qui aura bientôt un procès à ce sujet, nie toute malversation. Liliane Bettencourt maintient pour sa part qu'elle a toute sa tête et qu'elle a fait ces dons de son plein gré.

Plainte contre sa fille

L'héritière de L'Oréal a porté plainte contre sa fille pour atteinte à la vie privée à la suite de la divulgation des enregistrements.

Bien que, pour l'heure, médias et membres de l'opposition concentrent leur attention sur le ministre du Budget, l'affaire a aussi le potentiel d'embarrasser le président français Nicolas Sarkozy.

Les écoutes suggèrent que l'Élysée s'est ingéré directement dans le processus judiciaire qu'a lancé la fille de Liliane Bettencourt.

Patrick de Maistre affirme, dans un enregistrement, avoir appris du conseiller juridique de l'Élysée, un mois et demi avant que la chose ne se confirme, que la plainte initialement déposée contre le photographe serait classée sans suite. «Il ne faut le dire à personne», dit-il.

Le conseiller financier assure aussi que le président, qui a rencontré Liliane Bettencourt, continue de suivre «cela de très près».

L'intérêt du chef d'État n'a pas échappé au député vert Noël Mamère, qui insiste pour que toutes les ramifications de l'affaire fassent l'objet d'une enquête «jusqu'à déterminer le rôle précis de l'Élysée».

«Il n'y a pas d'un côté la justice des riches qui n'avance pas et celle des pauvres qui est intraitable», insiste M. Mamère.