Jusqu'où ira Julian Assange au nom de la liberté d'information? Le mystérieux fondateur du site WikiLeaks, spécialisé dans la diffusion de documents sensibles, fait couler beaucoup d'encre depuis l'arrestation d'une de ses sources présumées: un jeune soldat américain. Ce dernier serait à la source de la diffusion d'une vidéo controversée montrant une bavure américaine en Irak. Ce pourrait n'être que la pointe de l'iceberg, explique notre collaborateur, qui fait le point sur le site web le plus controversé de l'heure.

«Hillary Clinton et des milliers de diplomates dans le monde vont avoir une crise cardiaque quand ils vont se réveiller un matin et découvrir qu'une mine de renseignements secrets sur la politique étrangère est accessible.»

Bradley Manning, un soldat de 22 ans, a écrit ces lignes à un ancien pirate informatique, Adrian Lamo, qui l'a dénoncé aux autorités américaines. Arrêté en Irak il y a deux semaines et détenu au Koweït, l'analyste militaire est soupçonné d'avoir divulgué deux vidéos classées secret défense et quelque 260 000 câbles diplomatiques confidentiels au site WikiLeaks, spécialisé dans la diffusion de documents sensibles.

Début avril, WikiLeaks a suscité la plus grande controverse de sa courte existence en publiant une des vidéos dont Manning s'est targué d'être la source dans une conversation en ligne avec Lamo. Le document, tourné à bord d'un hélicoptère Apache, montre une bavure de l'armée américaine en Irak qui a coûté la vie à plusieurs civils, dont deux employés de l'agence de presse Reuters, en 2007.

S'il faut se fier à une des confidences de Manning à Lamo, le site pourrait provoquer un scandale encore plus grand s'il diffusait les câbles diplomatiques, qui expliqueraient «comment les grandes puissances exploitent le tiers-monde, en détail et de l'intérieur».

Lundi dernier, WikiLeaks a nié, sur son compte Twitter, avoir reçu les télex en question, mais ce démenti ne veut pas dire grand-chose de la part d'une organisation qui ne recule devant rien pour protéger l'anonymat de ses «Gorges profondes», ces informateurs prêts à dénoncer la corruption des gouvernements, entreprises ou autres institutions pour lesquels ils travaillent.

Comme les journalistes

Chose certaine, le site n'a pas fini de déranger les maîtres du monde, selon John Young, fondateur de Cryptome, un des premiers sites spécialisés dans la diffusion de documents sensibles.

«Ils sont intrépides, audacieux, et prêts à vivre avec les stigmates qui accompagnent une telle approche», déclare Young en parlant des fondateurs de WikiLeaks - dont le plus connu est l'Australien Julian Assange (voir autre texte) -, et de leurs bénévoles anonymes.

«Bien sûr, comme vous le savez, le journalisme fonctionnait comme ça à ses débuts. Mais le métier est devenu plus commercial, plus prudent, souvent pour des raisons financières et juridiques. Nous avons donc besoin d'un plus grand nombre de WikiLeaks. S'il n'y en a qu'un, ils se mettront à plusieurs contre lui et le mettront en bouillie.»

Fondé en décembre 2006, WikiLeaks parvient à déjouer la vindicte de la plupart de ses cibles en utilisant des serveurs situés dans trois pays pour stocker, traiter, décrypter et diffuser les documents que lui envoient ses sources grâce à une interface leur permettant de rester anonymes.

Deux de ces pays, la Suède et la Belgique, ont les meilleures lois sur la liberté de la presse et la protection des sources. Le troisième pays reste un secret. Des serveurs-relais anonymes répartis au quatre coins du monde servent également à brouiller les pistes.

Information authentique

WikiLeaks dit avoir reçu des centaines de milliers de fichiers concernant des banques corrompues, la guerre en Irak, le centre de détention de Guantánamo, la Chine, le Kenya, les Nations unies et l'Église de scientologie, entre autres. Le site n'a publié qu'une fraction des documents reçus, une approche qui rassure Kelly McBride, spécialiste de l'éthique au Poynter Institute for Media Studies.

«Lorsqu'ils ont annoncé la création de WikiLeaks, ma plus grande crainte était que l'information ne soit pas vérifiée, dit-elle. Je suis aujourd'hui confortée dans l'idée qu'ils vérifient l'information et s'assurent de son authenticité. Ce qu'ils ne font pas, cependant, c'est le travail journalistique consistant à placer les informations dans leur contexte.»

Et d'ajouter: «Je comprends pourquoi ils ne le font pas. Nous entrons dans une nouvelle ère journalistique où une partie du travail sera accomplie par des gens qui ne sont pas nécessairement des journalistes professionnels. Les gens de WikiLeaks tentent de faciliter ce genre de journalisme.»