Dix fois par jour, Yu Cungying amène son buffle près du réservoir Degehazi pour remplir, à la chaudière, sa citerne de 150 litres montée sur une remorque, afin de pouvoir arroser son champ de maïs, situé à un kilomètre de là.

C'est beaucoup de travail, mais la paysanne de 51 ans ne se plaint pas: le mois dernier, le réservoir était complètement à sec et les agriculteurs de la région n'avaient nulle part où s'approvisionner en eau pour l'arrosage.

Résultat: la plupart d'entre eux ont perdu leurs récoltes. «En janvier, j'avais planté des pois, mais les plants sont morts à cause du manque d'eau», raconte Yu Cungying, qui évalue la perte à 4000 yuans (570$), soit le tiers de son revenu annuel.

L'agricultrice au teint buriné et aux mains calleuses a également perdu deux cochons en raison du manque d'eau. Et les porcelets qu'elle élevait pour les vendre une fois à maturité, elle devra s'en défaire tout de suite, à moindre prix, pour acheter du riz, dont le prix a presque doublé.

Elle s'inquiète de ne pouvoir payer pour l'éducation de ses jumeaux de 18 ans, qui entrent à l'université en septembre. «S'il le faut, je vais vendre la maison et dormir dans mon étable», dit Yu Cungying, en souriant malgré l'adversité.

Le seul espoir des agriculteurs de la région, c'est qu'il pleuve bientôt, à l'approche de la saison des pluies. Leur village, Daga, situé à 120 kilomètres de Kunming, la capitale du Yunnan, n'a pas reçu une goutte d'eau depuis neuf mois.

Faire pleuvoir les nuages

Le premier ministre Wen Jiabao a visité le secteur en mars dernier pour constater la gravité de la situation. Une aide de 7,5 milliards de yuans (1 milliard) a été consentie aux régions touchées, notamment pour creuser des puits. On a même tenté d'«ensemencer» les nuages par des tirs de missiles contenant de l'iodure d'argent, avec des résultats mitigés.

Selon le gouvernement, 51 millions de personnes subissent les effets de la sécheresse, et 16 millions manquent cruellement d'eau potable.

Les fermiers rencontrés près de Daga n'ont pas reçu d'aide directe du gouvernement. Par contre, des travaux ont été réalisés pour remettre en fonction d'anciens conduits d'irrigation et pour creuser en catastrophe un nouveau canal permettant d'amener l'eau de la rivière Pan, située à 10 kilomètres de là, vers le réservoir Degehazi.

Il y a 15 jours, le réservoir a retrouvé un peu d'eau, mais il ne fait plus que le dixième de sa superficie. Nous avons marché dans le lit asséché du lac, où des centaines de gros coquillages étaient coincés dans la terre craquelée. Lorsque le réservoir s'est retrouvé à sec, en février dernier, les villageois ont attrapé les plus gros poissons à mains nues pour les vendre en ville.

Autour, dans la terre rouge typique de la région, les cultivateurs ont semé tant bien que mal du tabac et du maïs, mais les champs sont tellement desséchés que le moindre souffle de vent soulève des nuages de poussière. Entre les cultures et la petite flaque qui brille au milieu du lac asséché, il y a un va-et-vient incessant de buffles tirant des citernes.

Dans la campagne chinoise, et surtout dans la région du Yunnan, l'une des plus pauvres au pays, les paysans cultivent encore la terre sans machinerie.

Emprunter pour manger

La sécheresse a des conséquences catastrophiques. Après avoir semé du maïs, Lin Chong Zhen a posé sur ses champs des pellicules de plastique, pour tenter de garder un peu d'humidité dans la terre. Maintenant, elle doit, à la main, faire de petits trous dans la toile pour permettre aux plans naissants de sortir.

Survivront-ils mieux que sa récolte précédente? «Il faut absolument qu'il pleuve, sinon ça ne poussera pas, répond la paysanne de 44 ans. J'ai déjà perdu environ 1000 yuans (140$), ça représente la moitié de mon revenu annuel. Je crois que je vais devoir emprunter pour m'acheter à manger.»

Dans la petite ville toute proche, Xiao Mo Gu, le réseau municipal ne fournit de l'eau qu'une heure par jour, avec un très faible débit. Une intense puanteur se dégage des latrines communes, qui n'ont pas été nettoyées depuis des semaines à cause du manque d'eau - de nombreuses maisons chinoises n'ont pas de toilettes.

Yu Zi Guo, un restaurateur qui fait aussi boucherie, a payé 9000 yuans (1300$) pour faire creuser un puits de 41 mètres de profondeur devant son commerce. «Sans eau, je ne pouvais plus faire l'abattage de boeufs», explique-t-il, ajoutant qu'il met gratuitement son puits à la disposition de ses voisins assoiffés.