Dix ans plus tard, les images d'un Concorde en flammes s'écrasant sur un hôtel en banlieue parisienne sont encore présentes dans les esprits. Mais les causes exactes de la catastrophe, qui a fait 113 morts et précipité le retrait définitif du célèbre avion, demeurent matière à controverse. Au coeur du litige: un «bout de ferraille» de 500 grammes, nous explique notre correspondant.

Le tragique accident qui a précipité la disparition du Concorde, longtemps présenté comme le fleuron de l'industrie aéronautique française, est-il imputable à une simple lamelle de titane? Ou à un problème préexistant avec l'appareil d'Air France qui s'est écrasé en banlieue parisienne le 25 juillet 2000?

 

Cette question technique, lourde de conséquences, était au coeur du procès sous haute tension qui s'est terminé hier à l'issue de quatre mois d'audiences au tribunal correctionnel de Pontoise.

Selon Air France, l'affaire est entendue. La fameuse lamelle, tombée d'un DC10 de la Continental Airlines qui venait de décoller, a percuté un pneu du Concorde s'envolant pour New York. Son éclatement a entraîné la perforation d'un réservoir de l'avion, l'explosion du carburant et la chute tragique sur un hôtel situé non loin de la piste d'atterrissage, dans le Val-d'Oise.

Les avocats de la compagnie aérienne française, qui s'est constituée partie civile dans la cause, demandent que Continental Airlines soit condamnée à lui verser une indemnisation de 15 millions d'euros pour le préjudice subi.

La firme américaine défend pour sa part l'idée que l'avion était déjà en feu avant de percuter la lamelle.

Elle a fait témoigner à cet effet le pilote d'un autre appareil, Jean-Claude Samoyault, qui attendait sur la piste pour décoller. Selon lui, les flammes sont apparues sur le Concorde «bien avant» l'endroit où se trouvait la lamelle.

Les avocats de l'entreprise ont présenté, à l'appui de leur thèse, une animation vidéo de l'accident devant démontrer que le Concorde avait pris feu 700 mètres avant l'impact. Elle était inspirée de témoignages contradictoires qui auraient été écartés lors de l'enquête.

Hier, l'avocat de Continental Airlines, Olivier Metzner, a plaidé pour le «bon sens» au dernier jour du procès en soulignant qu'il n'était pas possible qu'un «bout de ferraille de 500 grammes» ait causé l'écrasement d'un avion de près de 200 tonnes.

Le véritable responsable de l'accident, a-t-il martelé, est Air France, qui aurait fait preuve de laxisme en permettant à l'avion de décoller sans être en parfait état mécanique. L'entreprise, selon lui, «aurait dû être du côté des prévenus».

Le parquet demande pour sa part que Continental Airlines soit condamnée à verser une amende de 175 000 (plus de 225 000$) et que deux de ses employés écopent de peines de prison avec sursis de 18 mois. Le verdict sera rendu le 6 décembre.

Les employés en question sont l'ouvrier ayant posé la pièce, supposément mal fixée, ainsi que son chef d'équipe.

Vive détresse

Le parquet réclame également une peine avec sursis contre Henri Perrier, qui a longtemps été responsable du programme Concorde chez Aérospatiale. L'homme de 80 ans est accusé de n'avoir «rien fait» pour corriger les défaillances de l'avion aux pneus et au réservoir malgré des incidents à répétition survenus depuis sa mise en service.

«Un tel incident ne s'est jamais produit dans l'aéronautique... Henri Perrier n'est passé à côté de rien de ce qui avait été étudié jusque-là», a déclaré son avocat, Christian Buffat, qui nie toute négligence.

Des familles de victimes sont venues témoigner au procès de la vive détresse qu'ils ressentent encore aujourd'hui face à la catastrophe, pour laquelle Air France et ses assureurs ont déjà versé des indemnisations.

Stéphane Garcia, qui a perdu un frère dans l'accident, a souligné que certaines personnes continuaient à se recueillir «tous les jours sur la tombe de leurs proches».

«L'émotion est bien présente tous les 25 juillet. Les indemnisations ne retirent rien à la douleur», a-t-il déclaré.

En ouverture du procès, la présidente du tribunal avait tenu à lire un par un les noms des victimes, de manière à ce que le caractère technique des procédures n'occulte pas leur «dimension humaine».

 

Mystérieuse disparition

Air France et Continental Airlines, qui sont à couteaux tirés dans le procès de l'écrasement du Concorde, multiplient les recours à l'extérieur du tribunal. La compagnie française a déposé jeudi une plainte pour «dénonciation calomnieuse» contre la firme américaine, répondant à une plainte précédente de sa rivale pour «obstruction à la justice». Le litige tourne autour d'un document technique nécessaire à la clarification des causes de l'accident qui aurait «mystérieusement» disparu. Air France affirme que le document en question a été saisi par les autorités après l'accident et figure dans le dossier pénal dont dispose Continental Airlines, qui se voit accusée de vouloir «discréditer la compagnie et porter atteinte à son image».