Après la débâcle des régionales, la cote du président est tombée à un niveau si bas qu'il aura de la difficulté à appliquer ses réformes... et peut-être à se représenter en 2012. Certains amis prennent leurs distances, d'autres mijotent leur candidature.

Mercredi soir, Nicolas Sarkozy a convié l'ensemble de ses députés UMP à l'Élysée. Pour essayer de leur remonter le moral après la débâcle récente des élections régionales, et de calmer le début de fronde qui se manifeste dans leurs rangs: si leur président les mène à une nouvelle défaite à la présidentielle de mai 2012, eux-mêmes seront balayés aux élections législatives qui suivront un mois plus tard. D'où la panique chez ces parlementaires qui, à une immense majorité, avaient soutenu et plébiscité le candidat brillant et irrésistible de 2007.

 

Une réunion partisane a priori contestable, car elle ramène le chef de l'État au rang de chef de la droite. D'ailleurs, loin de ramener la discipline dans les rangs, elle a plutôt souligné le fait que «le président a perdu le contrôle absolu sur ses troupes parlementaires», comme le dit un commentateur politique.

À preuve, cette interpellation d'une simple députée du sud de la France: «Comment expliquez-vous le désamour entre vous et les Français?» Grand débatteur politique, Nicolas Sarkozy ne s'est pas laissé démonter: «Je n'ai pas été élu pour me faire aimer, mais pour être efficace.» Mais une telle «impertinence» d'une députée de base à l'égard du président aurait été impensable à une autre époque.

On a également vu de simples députés de base contester ouvertement l'un des symboles majeurs de la politique sarkozyenne: le «bouclier fiscal». Adopté dès l'été 2007, il garantit à tous les contribuables que la totalité de leurs impôts et taxes diverses ne dépasseront pas 50% de leurs revenus de l'année. Une manière de prévenir le déplacement de grandes fortunes vers la Suisse, la Belgique ou la Grande-Bretagne. Ou de corriger certaines aberrations fiscales, créées par la hausse vertigineuse de l'immobilier dans les grandes villes ou en bord de mer.

«Pas question de renoncer à ce symbole», a répété le président. À la sortie de la réunion, 13 députés UMP ont fait savoir qu'ils déposeraient un projet de loi pour abolir cette disposition. Une mutinerie sans effet immédiat, mais qui donne une idée du malaise à droite. D'autant plus que trois anciens premiers ministres de droite ont fait part de leur réserve sur le sujet. Et que le jeune et ambitieux leader parlementaire de l'UMP, Jean-François Copé, a lui-même déclaré que sa «religion n'était pas faite» sur ce bouclier fiscal, considéré dans l'opinion comme un «cadeau aux riches».

Un problème qui, en soi, n'est pas colossal, puisque la disposition coûte moins de 600 millions d'euros à l'État chaque année. Mais, si la majorité parlementaire est tentée de se rebeller ouvertement contre le président, celui-ci sera-t-il en mesure, au cours des deux années à venir, d'imposer les réformes qui sont déjà programmées? Un menu indigeste: la suppression contestée du juge d'instruction, la réduction draconienne du nombre d'élus locaux et, surtout, la réduction douloureuse des dépenses publiques, alors que le déficit file vers les 10% du PIB, et la dette au-delà des 80%. On a déjà vu dans le passé des gouvernements français forcés de renoncer à des réformes pour cause de rébellion parlementaire.

Nicolas Sarkozy avait été si brillamment élu en mai 2007 qu'il paraissait tout-puissant ou presque, et déjà réélu pour un second mandat. Aujourd'hui on se demande s'il a encore les moyens d'imposer sa politique... ou même de se représenter en 2012. Le voilà face à des parlementaires de droite hostiles, eux-mêmes attentifs à des sondages désastreux qui placent Sarkozy à moins de 30% de bonnes opinions, tels Mitterrand ou Chirac à leur crépuscule. Des sondages de fin de règne. Et qui aiguisent tout à coup les ambitions présidentielles à droite.

 

LES TROIS RIVAUX

Dominique de Villepin

57 ans, l'ennemi mortel

Entre les deux hommes, la haine est mortelle et déclarée. Bel homme au verbe flamboyant, Dominique de Villepin a été envoyé au gouvernement en 2002 par Jacques Chirac avec pour mission de «tuer» politiquement Nicolas Sarkozy, qui ne cachait pas ses ambitions présidentielles. Ce dernier l'accuse d'ailleurs d'avoir monté contre lui une machination calomnieuse - l'affaire Clearstream - pour l'écarter de la course à la présidence. Nommé premier ministre en juin 2005, il a d'abord connu une énorme popularité, et est devenu un prétendant sérieux au trône. Mais il n'a pas survécu aux vagues de manifestations étudiantes, au début de 2006, contre la création d'un salaire minimum pour les jeunes. Totalement isolé, jamais élu député, Villepin semblait fini. La dégringolade de Sarkozy l'a progressivement remis en selle. Il y a six mois, on le disait prêt à se présenter en mai 2012. Pas pour gagner. Seulement pour faire battre son ennemi juré. Aujourd'hui, pour des députés de droite paniqués, il pourrait devenir une solution de rechange. Le 19 juin, il fondera officiellement son propre parti politique. «Gaulliste et social.»

Photo: Christophe Ena, AP

L'ancien premier ministre Dominique de Villepin.

Alain Juppé

64 ans, malchanceux en politique mais homme d'État

À 64 ans, malchanceux de la politique, Alain Juppé a renoncé à toute ambition présidentielle: Sarkozy ferait un second mandat, qui le mènerait en 2017. Or voici que, dimanche dernier, il est sorti de sa réserve pour annoncer que «si le président renonçait à se présenter en 2012, je n'exclus pas d'être candidat». Ancien premier ministre, considéré par tous comme un homme d'État, jamais vraiment populaire dans l'opinion, Alain Juppé a été frappé de plein fouet en 2004 par une condamnation et une peine d'inéligibilité pour d'anciennes affaires de corruption à la mairie de Paris où il était adjoint aux Finances. «Exilé» au Québec où il a enseigné une année à l'ENAP, il est redevenu maire de Bordeaux. Mais, battu d'extrême justesse aux législatives de juin 2007, il a démissionné de son poste de numéro deux du gouvernement Fillon. La retraite bordelaise paraissait cette fois définitive. Sa quasi-déclaration de candidature est un signe qui ne trompe pas.

Photo: JEAN-PIERRE MULLER, AFP

L'ancien premier ministre Alain Juppé.

François Fillon

56 ans, premier ministre invisible et populaire

Une tête de bon élève, un air sérieux et affable, François Fillon, premier ministre de Sarkozy depuis mai 2007, a tout, a priori, pour jouer les honnêtes et fidèles seconds. Il a d'ailleurs été auparavant un excellent ministre des Affaires sociales. Jamais, sous la Ve République, n'avait-on vu un chef de gouvernement aussi effacé, pour ne pas dire invisible. «L'hyper président» Sarkozy décide de tout, traite de tous les dossiers importants, monopolise la communication gouvernementale et occupe tout le terrain médiatique. D'autres que Fillon auraient démissionné. Il a tout accepté sans broncher, se contentant de faire entendre ici et là sa petite différence, en tant que champion de la rigueur et du sérieux. À force de rester dans l'ombre, il a été épargné par la vague de mécontentement qui frappe son président. Dans un récent sondage, Nicolas Sarkozy tombe à 30% d'opinions favorables... contre 49% pour son premier ministre! François Fillon a eu beau protester vigoureusement de sa fidélité, il est de fait un recours de poids.

Photo: BERTRAND GUAY, AFP

Le premier ministre français actuel François Fillon.