La région frontalière du nord du Mexique est désormais l'endroit le plus dangereux du monde pour les médias: huit journalistes y ont été enlevés depuis deux semaines.

Selon l'Inter-American Press Association, cette vague d'enlèvements est «sans précédent» en Amérique du Nord.

À ce jour, trois des journalistes ont refait surface: deux d'entre eux ont été relâchés, tandis qu'un autre a été retrouvé sans vie, et portait des marques de torture. Cinq journalistes manquent toujours à l'appel.

«Le gouvernement mexicain doit agir rapidement et avec force afin de porter secours à ces journalistes», a signalé le président de l'association, Alejandro Aguirre.

Les enlèvements sont tous survenus dans la petite ville frontalière de Reynosa, située tout près de McAllen, dans le sud-est du Texas. Les groupes de narcotrafiquants actifs dans la région sont responsables des enlèvements, selon les autorités. Les deux journalistes relâchés ont quitté la ville.

Selon Kristin Bricker, journaliste indépendante qui écrit sur le crime organisé et les droits de l'homme au Mexique, cette vague de violence est représentative du pouvoir des cartels dans la région frontalière.

«Acheter le silence»

«L'une des tactiques des cartels est d'offrir des sommes d'argent aux journalistes pour acheter leur silence, explique-t-elle en entrevue de Mexico. Les journalistes ont le choix: soit ils acceptent l'argent, soit ils disparaissent. Aujourd'hui, le Mexique est l'un des endroits les plus dangereux du monde pour les reporters.»

Un récent article du magazine Procesco a fait état d'un système de corruption des journalistes dans la région frontalière. Selon le magazine, certains journalistes qui gagnent officiellement 400$ par mois se déplacent ces jours-ci en Land Rover neufs, et sont accompagnés de gardes armés payés par les cartels. Sous le couvert de l'anonymat, des journalistes disent aussi que leurs éditeurs sont payés par les narcotrafiquants, et qu'ils les incitent à ne pas écrire sur la corruption et la violence.

Prendre des précautions

Mme Bricker dit éviter de critiquer les cartels directement dans ses articles, «car ce n'est pas nécessaire et c'est dangereux», dit-elle.

«Ça ne donnerait rien, parce que les cartels ne changeront pas leurs tactiques. Les gouvernements, par contre, ont un choix, et ils ont choisi la confrontation violente directe au lieu de taxer et de régler une industrie très puissante.»

Les journalistes enlevés vivaient et travaillaient dans une petite ville rongée par le crime, où les trafiquants connaissent tout le monde. L'anonymat d'une grande ville comme Mexico, en revanche, assure une certaine sécurité.

Mme Bricker, qui collabore notamment au site Narco News, prend néanmoins des précautions.

«Par exemple, je ne mets aucune photo de moi sur l'Internet. Je mens quand on me demande quel métier je pratique. Et je ne vais jamais aux conférences de presse du gouvernement, car il faut montrer sa carte de presse pour y entrer. J'essaie de rester modeste.»

Malgré tout, des gens déterminés n'auraient aucun mal à la trouver. «Aucune précaution ne peut empêcher cela. Le gouvernement et les cartels ont des réseaux de renseignement extrêmement sophistiqués.»