Richard Mack, un ex-shérif de l'Arizona, a le sens du spectacle. Vêtu d'un complet-cravate de bonne coupe, cet homme au physique imposant et à la chevelure de jais arpente la scène en modulant sa voix pour obtenir le meilleur effet possible auprès de son auditoire.

«Je vais vous dire quelque chose, déclare-t-il sur le ton de la confidence. J'espère que cela ne choquera personne et que personne ne partira. Je l'ai dit sur mon site web et je l'ai écrit dans mon livre: les terroristes ne représentent pas la plus grande menace à laquelle nous faisons face. La plus grande menace à laquelle nous faisons face est le gouvernement fédéral», ajoute-t-il en haussant la voix.

Loin de s'offusquer d'un tel message, les spectateurs applaudissent chaleureusement le conférencier, dont l'opuscule de 50 pages, intitulé The County Sheriff: America's Last Hope (Le shérif de comté, dernier espoir de l'Amérique), est un appel à peine voilé à la sédition. Parmi l'auditoire composé uniquement de Blancs se trouvent des hommes qui servent ou ont servi dans l'armée ou les forces de l'ordre, dont le shérif du comté.

Partout où il passe ces jours-ci, Richard Mack fait salle comble. L'auditorium de l'Université de Findlay n'a pas fait exception mardi soir: plus de 400 habitants de cette petite ville située dans le nord-ouest de l'État de l'Ohio se sont déplacés pour entendre l'ancien shérif du comté de Graham, qui s'était recyclé en vendeur de Cadillac en Arizona jusqu'à ce que l'élection de Barack Obama à la Maison-Blanche ne relance sa carrière de militant extrémiste.

Une figure iconique

Incarnation d'une droite radicale en pleine résurgence (voir autre texte), Richard Mack s'est fait connaître dans les années 90 en contestant jusqu'en Cour suprême, à titre de shérif, une disposition de la loi fédérale limitant l'accès aux armes à feu. Cette cause, dont il est sorti victorieux, a fait de lui un héros aux yeux des partisans de la libéralisation des armes à feu. Un héros, aussi, aux yeux des membres des milices qui se sont multipliées durant cette décennie marquée par plusieurs événements violents, du siège du suprémaciste blanc Randy Weaver à Ruby Ridge en Idaho (trois morts) à celui de la secte des davidiens de Waco au Texas (86 morts), en passant par l'attentat à la bombe de Timothy McVeigh à Oklahoma City (168 morts).

Après un silence de près de 10 ans interrompu en 2006 par une campagne sénatoriale infructueuse en Arizona, Richard Mack a effectué un retour en force en 2009 grâce à son pamphlet contre le gouvernement fédéral, dans lequel il soutient que seuls les shérifs de comté, secondés par des milices citoyennes, peuvent sauver les États-Unis d'un «despotisme total». Cet ouvrage lui a valu d'être invité à l'émission radiophonique d'Alex Jones, figure populaire auprès du mouvement dit patriote et propagateur de thèses conspirationnistes sur le «nouvel ordre mondial», les attentats du 11 septembre 2001 et autres cabales présumées de l'élite.

Après cette interview, Mack a été inondé d'invitations à s'adresser à des groupes patriotes ou affiliés au Tea Party, le mouvement de contestation antigouvernementale dont il partage notamment la répulsion pour la réforme du système de santé voulue par le président. Comme plusieurs tea partiers, il estime que ce projet fédéral viole le 10e amendement de la Constitution selon lequel «les pouvoirs non délégués aux États-Unis par la Constitution (...) appartiennent aux États respectifs ou au peuple». Il encourage donc les États à affirmer leur «souveraineté» en refusant de se soumettre à cette réforme et à d'autres lois «inconstitutionnelles».

«Richard Mack joue en quelque sorte un rôle de trait d'union entre les idées plus radicales du mouvement patriote et le mouvement Tea Party», dit Mark Potok, du Southern Poverty Law Center, une association qui surveille les groupuscules extrémistes ou paramilitaires d'extrême droite. «Et le fait est que le mouvement Tea Party se radicalise.»

Un double langage

Dans ses conférences, Richard Mack se défend d'inciter à la sédition ou à la violence, ou encore d'encourager les théories du complot. Il n'est là, dit-il, que pour parler de sa cause devant la Cour suprême et du serment qu'il a prêté à titre de shérif et de membre des Oath Keepers, un nouveau groupe patriote, celui de «protéger et défendre la Constitution contre tout ennemi, qu'il vienne de l'extérieur ou de l'intérieur». Mais le double langage semble faire partie de son arsenal rhétorique.

«Je ne suis pas ici pour traiter de thèses conspirationnistes. De l'assassinat de JFK. Ou de l'acte de naissance de Barack Obama...ou de son absence», dit-il, soulevant les rires de l'assistance. «Je ne suis pas ici non plus pour parler de milices, même si, par définition, vous êtes tous des miliciens. Vous devriez d'ailleurs aller voir votre shérif pour lui dire que vous êtes prêts à former une patrouille (posse) avec lui.»

L'idée selon laquelle le shérif joue un rôle crucial dans la défense de la liberté face aux empiètements du gouvernement fédéral n'est pas nouvelle au sein de l'extrême droite. En 1969, elle a notamment contribué à la formation d'une coalition de groupes extrémistes appelée Posse Comitatus, qui voulait «restaurer» la république américaine par le biais d'actions unilatérales de la population et du shérif. Quarante ans plus tard, cette même idéologie fait rêver Richard Mack, dont l'une des bêtes noires est l'Internal Revenue Service (IRS), l'agence fédérale des impôts, «notre Gestapo», selon son expression.

«Je prie pour que vienne le jour où un shérif de ce pays arrêtera un agent de l'IRS pour violation des droits d'un citoyen», dit-il au cours de sa conférence, suscitant de nouveau des applaudissements nourris.

«Hitlery Clinton»

Le groupe patriote auquel appartient Richard Mack, les Oath Keepers, a été fondé l'an dernier par Stewart Rhodes, un avocat constitutionnaliste de 44 ans. Rhodes a fourni une illustration de sa paranoïa au début de 2008. Signant un article dans le magazine SWAT, ce diplômé de Yale a demandé à ses lecteurs issus de l'armée ou de la police s'ils obéiraient à une présidente despotique appelée «Hitlery Clinton» qui leur ordonnerait de désarmer des citoyens, d'incarcérer des miliciens comme combattants ennemis et d'ouvrir le feu sur les résistants.

Rhodes a publié les réponses de ses lecteurs sur un blogue appelé Oath Keepers. C'était le début d'un mouvement qui recrute soldats, policiers, pompiers et anciens combattants, et dont la présence s'étend désormais aux 50 États américains. La paranoïa de Rhodes se reflète également dans les 10 ordres auxquels les membres des Oath Keepers s'engagent à ne jamais obéir, dont les ordres consistant à «imposer la loi martiale» et à «enfermer des citoyens dans des camps».

Ces 10 commandements sont publiés sur une page du site internet des Oath Keepers coiffée d'une déclaration de George Washington remontant au mois d'août 1776: «Le temps approche où il sera probablement décidé si les Américains seront des hommes libres ou des esclaves.» Près de deux siècles et demi plus tard, l'auteur de cette page ajoute: «Ce temps s'approche à nouveau.»

Toutefois, tous les auditeurs de Richard Mack, le plus célèbre des Oath Keepers, ne sont pas prêts à sombrer dans cette paranoïa.

«Nous sommes encore très loin de l'esclavage», dit Jim Irvine, président de la Buckeye Firearms Association, qui a invité Mack à prononcer une conférence à Columbus, une autre ville d'Ohio.

Mais Irvine est d'accord avec l'opinion de l'ex-shérif concernant le deuxième amendement de la Constitution.

«Le deuxième amendement n'a rien à voir avec la chasse aux canards, dit-il. Le deuxième amendement garantit le droit des citoyens de posséder des armes à feu pour se protéger contre diverses menaces, y compris la tyrannie.»

Photo d'archives Reuters

Des membres du National Socialist Movement, un parti néo-nazi, manifestent contre l'immigration illégale à Austin, au Texas, en novembre 2006. Selon une étude du Southern Poverty Law Center, le nombre de groupes professant la haine des Noirs, des juifs et des homosexuels, entre autres, est passé de 602 à 932 de 2000 à 2009 aux États-Unis.