Les Allemands pourront désormais faire des appels ou transmettre des courriels sans avoir à se soucier que des données relatives à leurs échanges soient conservées en vue d'hypothétiques enquêtes criminelles.

Dans une décision retentissante qui risque d'avoir de larges échos à l'échelle du continent, le plus haut tribunal d'Allemagne vient d'invalider une loi qui forçait le stockage de données relatives aux communications privées.

 

Le Tribunal constitutionnel fédéral a déclaré que les dispositions de la loi en question - inspirée d'une directive de l'Union européenne - constituaient dans leur forme actuelle une «grave atteinte» à la vie privée.

Les fournisseurs d'accès internet et de services téléphoniques étaient tenus jusque-là de conserver les données sur les appels et les courriels (source, destinataire, heure, lieu géographique lorsque possible, etc.) sans pour autant retenir le contenu même des échanges.

Ces données devaient être conservées durant six mois pour que la police, au besoin, puisse s'en servir.

Le tribunal allemand, sans aller jusqu'à déclarer illégal le stockage de données de ce type, a conclu que les mécanismes en place pour baliser leur utilisation étaient insuffisants. Il a donc ordonné la destruction immédiate des données existantes et forcé le gouvernement à revoir sa loi, considérée comme un outil clé de la lutte antiterroriste.

Surveillance par les nazis

La question de la collecte de données de télécommunications est particulièrement délicate en Allemagne, où la surveillance qu'ont exercée les nazis et, par la suite, la police secrète est-allemande est encore bien présente dans les esprits. Selon un récent sondage, près de 70% de la population est opposée à ces pratiques.

Le stockage de données «sur toute la population sans qu'il y ait de soupçons est inacceptable et doit cesser immédiatement», a souligné le Groupe de travail allemand sur la conservation de données en réaction au jugement.

L'organisation non gouvernementale, qui est à l'origine de la plainte sur laquelle s'est prononcé le tribunal allemand, entend porter sa bataille à l'échelle européenne en recueillant 1 million de signatures pour faire pression sur les élus en poste à Bruxelles.

Joe McNamee, coordonnateur de l'organisation European Digital Rights, qui regroupe une trentaine d'organisations de défense de la vie privée, croit que la décision allemande pourrait marquer un tournant.

La peur ou les valeurs

Le gouvernement allemand avait adopté une approche restrictive en limitant la conservation de données à six mois. La directive européenne, elle, permet aux pays membres d'imposer une durée maximale de deux ans aux firmes de télécommunications.

«Il semble que la décision du tribunal - qui juge que la loi allemande a une portée excessive - laisse peu de place à l'adoption d'un nouveau texte par le gouvernement allemand», souligne M. McNamee.

Selon lui, le contexte actuel pourrait permettre une révision de la directive de l'Union européenne.

Plusieurs pays, dont la Suède - qui préside actuellement l'Union européenne - refusent de l'appliquer. La nouvelle commissaire à la justice, aux droits fondamentaux et à la vie privée, Viviane Reading, l'a par ailleurs critiquée récemment en insistant sur la nécessité de protéger la vie privée des citoyens.

«Nous ne nous laisserons pas dicter des règles qui vont à l'encontre des droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme. Nous ne devons pas nous laisser diriger par la peur, mais par des valeurs», a-t-elle dit.