Plus une journée ne passe sans que la police russe soit éclaboussée par un nouveau scandale: corruption, extorsion, meurtres, viols, vols. Le président Dmitri Medvedev a décidé d'agir pour redorer le blason des forces de l'ordre, que les deux tiers des Russes disent craindre. Mais sa réforme risque d'être un coup d'épée dans l'eau sale d'un système corrompu jusqu'à l'os.

Denis Evsioukov était un chef de police moscovite ordinaire jusqu'au 27 avril 2009. Ce jour-là, après une dispute arrosée avec sa conjointe, il est entré dans un supermarché tranquille et s'est mis à tirer au hasard, tuant deux personnes et en blessant sept autres. Avec son arme de service.

Ailleurs, un tel épisode aurait pu être placé dans la rubrique des malheureux faits divers. Mais en Russie, il a été la goutte qui a fait déborder le vase de toutes les récriminations envers une police qui fait peur à 67% de la population, selon un récent sondage.

Depuis la fusillade, les médias russes portent une attention particulière aux malversations des forces de l'ordre, qui sont le plus souvent impunies. Certains policiers sont même sortis sur la place publique par l'entremise du cyberespace pour exprimer leur ras-le-bol face à des supérieurs qui leur demandent de fabriquer des preuves pour résoudre des crimes et améliorer les statistiques de leur service.

Plus rien n'étonne personne. Ni le policier de province qui paie des chômeurs pour avouer des crimes qu'ils n'ont pas commis, ni les trois agents moscovites arrêtés la semaine dernière pour avoir interpellé sans raison un homme d'affaires et son fils, exigeant de leur famille une rançon de 215 000$ pour les libérer.

Il y a deux semaines, Denis Evsioukov a écopé d'une peine de prison à vie et a été officiellement démis de ses fonctions. Le même jour, le président Dmitri Medvedev a annoncé les premières mesures de sa réforme du ministère de l'Intérieur, une structure qui emploie 1,2 million de personnes.

Dorénavant, on considérera comme «circonstance aggravante» le fait qu'une personne accusée d'actes criminels soit membre de la police. Le président a aussi mis à la porte 18 hauts responsables de la police, dont deux vice-ministres.

Pour réduire la corruption et l'abus de pouvoir, il a également annoncé que l'inspection des voitures, le renvoi des immigrés illégaux et la gestion des centres de dégrisement ne relèveraient plus de la police. Au mois de janvier, un journaliste avait été battu à mort à Tomsk par un agent dans l'un de ces établissements où sont détenues pour la nuit les personnes arrêtées en état d'ébriété.

D'ici deux ans, les effectifs du Ministère seront réduits du cinquième, et les salaires augmenteront. Actuellement, un policier russe reçoit de 300 à 660$ par mois, selon sa région d'affectation.

Peu de chances de succès

Rouslan Miltchenko, directeur du centre Analyse et Sécurité, croit que le président Medvedev est bien intentionné. Il est toutefois peu optimiste sur les chances de réussite de ses réformes, qui ne s'attaquent pas au coeur du problème, selon lui.

«La réforme est mise en place par ceux-là mêmes contre qui elle est destinée. Ils vont duper le président puisque c'est eux qui sont chargés de lui exposer la situation», explique M. Miltchenko, en référence aux haut placés du ministère de l'Intérieur.

À son avis, pour espérer une amélioration, il faudrait «un nettoyage complet des cadres de la police qui sont responsables de tous ces scandales». En plus des réformes, bien sûr.

Un peu comme l'a fait le président de la Géorgie, Mikhaïl Saakachvili. En 2005, il a renvoyé les 30 000 agents de la circulation de son pays, mesure draconienne qui a permis d'en finir avec le système de corruption postsoviétique, selon des observateurs étrangers.