Barack Obama a toujours refusé d'être le porte-étendard d'une Amérique «post-raciale», celle qui aurait surmonté les clivages raciaux en élisant un président issu du mariage d'un Noir et d'une Blanche.

«Si des gens pensent qu'il n'y a plus de racisme parce que j'ai été élu, ils se trompent», a-t-il déclaré récemment à sept journalistes noirs qui l'accompagnaient à bord de l'avion présidentiel.

Mais l'illusion perdure et explique peut-être la décision du chef de la Maison-Blanche de plonger dans la controverse entourant l'arrestation d'un ami noir, éminent universitaire de Harvard. Lors d'une conférence de presse mercredi dernier, Obama a qualifié de «stupide» l'attitude de la police de Cambridge dans cette affaire, une déclaration qui a soulevé une «tempête raciale» aux États-Unis, pour reprendre l'expression d'un tabloïd new-yorkais.

Rappelons brièvement les faits: Henry Louis Gates, spécialiste des questions africaines et afro-américaines à l'université Harvard, est arrêté le 16 juillet après avoir enfoncé la porte de son domicile parce qu'il avait égaré ses clés à son retour d'un voyage en Chine. Le sergent James Crowley, un policier blanc, est dépêché sur les lieux à la suite de l'appel d'une voisine qui croyait à un cambriolage. S'ensuit une altercation entre Gates et Crowley à l'issue de laquelle le sergent arrête le professeur âgé de 58 ans pour trouble à l'ordre public, charge abandonnée mardi dernier.

«Je ne connais pas tous les faits, a dit Barack Obama mercredi dernier, mais la police de Cambridge s'est conduite de manière stupide en arrêtant quelqu'un alors que la preuve était faite qu'il était chez lui.»

Il a ajouté que l'arrestation de Gates illustre la réalité à laquelle plusieurs Noirs et Latinos font encore face aux États-Unis.

Deux jours plus tard, face au tollé soulevé par sa critique de la police de Cambridge - des syndicats policiers du Massachusetts ont notamment réclamé des excuses - Barack Obama a fait amende honorable en expliquant qu'il aurait pu mieux choisir ses mots, et il a invité le professeur Gates et le sergent Crowley à prendre une bière à la Maison-Blanche.

Mais le président, qui choisit toujours ses mots avec soin, a-t-il commis une simple erreur ou a-t-il plutôt voulu profiter de l'arrestation de Gates pour lancer un débat qui a dégénéré? La réponse à cette question n'est peut-être pas étrangère à sa déception face à la couverture médiatique de son discours devant la NAACP, célèbre organisation de défense des droits des Noirs, qui fêtait son centenaire à New York le 16 juillet, le jour même de l'arrestation de Gates.

Dans une bonne partie de ce discours, il a décrit les «barrières» qui se dressent encore aujourd'hui devant les Noirs. Ceux-ci ont «plus de risques de souffrir de maladies mais moins de chances d'avoir une couverture santé», a-t-il dit. Les jeunes Noirs ont «cinq fois plus de risques que les enfants blancs de voir l'intérieur d'une prison» tandis que le chômage et virus du sida font «des ravages dans la communauté afro-américaine avec une force disproportionnée». Le gouvernement a toujours un rôle à jouer pour abattre ces barrières, a ajouté le président.

Mais les médias américains ont occulté cette partie de son discours pour mettre l'accent sur l'autre, où il reprenait le mantra de la responsabilité individuelle.

«Nous avons besoin d'une nouvelle mentalité, de nouvelles attitudes, a-t-il dit. L'un des héritages les plus destructeurs et les plus durables de la discrimination est la manière dont nous avons intériorisé le sens des limites, la manière dont tant d'entre nous en sont venus à attendre si peu.»

Au lendemain de son discours, Barack Obama s'est plaint à un chroniqueur du Washington Post de ce que les médias n'en avaient couvert qu'une partie. «Quand je parle de la responsabilité du gouvernement, cela ne fait pas les manchettes», a-t-il déploré.

Pour comprendre sa frustration, il faut savoir que les associations noires critiquent souvent le président, à qui elles reprochent de ne pas aborder de façon assez spécifique les problèmes de leur communauté.

Le premier président noir avait peut-être en tête ces critiques lorsqu'il a répondu à la question sur l'arrestation de Gates, qui met à son avis en relief le problème du profilage racial. Même en s'excusant vendredi pour son mauvais choix de mots, il a souligné que la «frénésie médiatique» autour de sa déclaration prouvait que «ces questions sont encore très délicates en Amérique».

Personne ne le contredira là-dessus.