Un nombre croissant de femmes qui vivent dans des pays où l'avortement est interdit se tournent vers l'internet pour réussir, envers et contre tout, à interrompre leur grossesse.

L'approche est encouragée notamment par l'organisation Women on Web, qui propose un mélange de médicaments devant permettre de réaliser un avortement à domicile.

 

«Que des femmes puissent réaliser seules leur avortement est un progrès révolutionnaire. On commence à peine à prendre la mesure de ce que cela signifie», souligne en entrevue Rebecca Gomperts, médecin néerlandaise pratiquant l'avortement thérapeutique et ayant participé au lancement du projet.

Les femmes qui consultent www.womenonweb.org peuvent obtenir des informations sur la manière d'obtenir et d'utiliser de manière sécuritaire deux produits abortifs offerts en pharmacie dans un grand nombre de pays. Il s'agit du misepristone et du misoprostol.

Celles qui souhaitent procéder à un avortement sont invitées à répondre à un questionnaire en ligne qui est revu par un médecin. S'il n'y a pas de contre-indications, l'organisation envoie les produits par voie postale à l'adresse indiquée par la femme et lui offre ensuite un service de consultation en ligne pour la guider à travers le processus.

Des recommandations sont données pour qu'elle puisse faire passer ses symptômes pour une fausse couche si une hospitalisation s'avère nécessaire, de manière à écarter tout risque de poursuite.

Une contribution volontaire d'environ 100$ est demandée. Mais les produits sont envoyés de toute façon si les femmes ne peuvent pas payer.

«Personne n'est refusé», dit Mme Gomperts.

Seuls les pays où l'accès à un avortement sécuritaire n'est pas possible légalement sont ciblés par le site, qui n'expédie pas de colis au Canada.

Bateaux-cliniques

Women on Web a été lancé en 2006 à l'initiative de l'organisation hollandaise Women on Waves, que chapeaute Mme Gomperts. Elle s'est fait connaître en affrétant des bateaux-cliniques pour pratiquer des avortements dans les eaux internationales jouxtant les eaux nationales de pays interdisant l'avortement.

En 2004, la militante s'était attirée les foudres du gouvernement portugais, qui avait envoyé un vaisseau de guerre pour bloquer l'arrivée d'un bateau de son organisation.

Elle a alors multiplié les entrevues afin d'alerter les femmes sur la possibilité d'utiliser le Cytotec, un produit à base de misoprostol offert en pharmacie, pour avorter. L'idée de faire la promotion de cette approche par le web et de poster partout dans le monde des médicaments aux femmes ne pouvant le trouver est venue dans la foulée.

«On recevait sur notre site des courriels de femmes aux quatre coins du monde qui demandaient de l'aide. Women on Web est la réponse que nous avons trouvée», indique Mme Gomperts, rencontrée à Amsterdam.

En 2006, les médicaments ont été envoyés à 500 femmes réparties dans une trentaine de pays, la moyenne d'âge étant de 27 ans. Les bénéficiaires du programme se comptent aujourd'hui par milliers. «On dessert plus de 80 pays», souligne Mme Gomperts.

Les besoins sont gigantesques. On estime que le nombre d'avortements pratiqués dans des conditions non sécuritaires, plutôt que de régresser, serait en hausse, notamment en Afrique, en Amérique latine et dans certains régions d'Asie.

Morgentaler

L'initiative hollandaise est appuyée par le Dr Henry Morgentaler, qui est décrit, dans l'étude, comme le «champion canadien des droits reproductifs».

«Il nous a offert une aide précieuse pour faire en sorte que Women on Web puisse se réaliser», souligne sans plus de précision Mme Gomperts.

Une porte-parole de la clinique Morgentaler à Toronto a indiqué que le praticien avait joué un rôle très secondaire, se contentant de fournir des statistiques sur la situation du Canada en matière d'avortement.

Le programme de Women on Web suscite des interrogations dans la communauté médicale, notamment sur le plan de la sécurité et de l'efficacité.

Une étude parue cet été dans le British Journal of Obstetrics and Gynaecology (BJOG), qui visait à évaluer l'impact du site, a conclu que les résultats étaient similaires à ceux obtenus pour les avortements médicamenteux supervisés en clinique externe.

Risques et lacunes

Environ 7% des femmes ayant utilisé le service ont dû subir ensuite un curetage ou une aspiration en raison d'un avortement incomplet ou de pertes sanguines excessives. Un peu moins de 2% d'entre elles ont indiqué que la prise des médicaments n'avait pas permis d'interrompre la grossesse.

Mme Gomperts, qui chapeautait l'étude en question, note que les femmes vivant dans des pays où l'avortement est interdit se montrent très prudentes. «Elles sont inquiètes et se montrent donc très soucieuses de suivre les recommandations obtenues en ligne», dit-elle.

L'éditeur du BJOG note qu'il y a un risque particulier découlant du fait qu'aucun examen physique n'est pratiqué par un expert pour valider la période de grossesse estimée par la femme utilisant le service. La question est importante puisque les risques de complications découlant de l'avortement médicamenteux augmentent avec les mois.

Il faut, plaide Mme Gomperts, apprécier ces risques à la lumière de ceux qui sont encourus par des femmes subissant des avortements non sécuritaires aux mains de personnes sans véritable expertise, dans des conditions hygiéniques douteuses. Chaque année, près de 70 000 femmes meurent des suites de ces interventions.

«Il me semble qu'une femme qui veut un avortement dans un pays où c'est interdit a plus intérêt à faire appel à Women on Web que de se faire planter des aiguilles dans l'utérus», tranche-t-elle avec ironie.

Avec la collaboration de Louise Leduc





 

Risques de poursuite?

L'envoi de médicaments abortifs dans des pays interdisant l'avortement n'est pas sans risque sur le plan juridique pour les expéditeurs.

Un spécialiste sollicité par le British Journal of Obstetrics and Gynaecology (BJOG) souligne, dans un article paru durant l'été, que la position des personnes responsables est «complexe». Il est «difficile de dire», souligne-t-il, si elles pourraient faire l'objet d'une demande d'extradition. Elles pourraient par ailleurs risquer l'arrestation si elles visitent par la suite le pays destinataire.

L'expert avance que les instances médicales pourraient être tentées de sanctionner les médecins participants, particulièrement si une tentative d'avortement tourne mal.

Officiellement, Women on Web est géré par une fondation à but non lucratif.

Bien que son organisation soit à l'origine de l'initiative, Mme Gomperts affirme qu'elle n'a pas aujourd'hui la charge du site. Et ne se montre guère loquace sur l'identité des personnes responsables.

«Tout ce que je peux dire, c'est que beaucoup de recherches ont été faites pour garantir que tout est légal», dit-elle.