«Il y a un siècle, quand le président Theodore Roosevelt a invité Booker T. Washington à dîner à la Maison-Blanche, cela avait été considérée comme un outrage dans de nombreux foyers. L'Amérique d'aujourd'hui est à des lieues de l'intolérance cruelle de ces temps révolus. Et il n'y a pas de meilleure preuve de cela que l'élection d'un Afro-Américain à la présidence des États-Unis.»

C'est John McCain qui s'exprimait ainsi mardi soir, à Phoenix, en reconnaissant gracieusement sa défaite à l'issue de l'élection présidentielle américaine. Il faisait allusion à un de ses présidents préférés, dont le séjour au 1600, Pennsylvania Avenue dura de 1901 à 1909, et à l'un des premiers militants de la cause des Noirs aux États-Unis. Né esclave, d'un père blanc et d'une mère noire, Booker T. Washington fut le premier et le dernier Noir à être invité à la table de Roosevelt.

 

Il sera impossible demain de faire abstraction de l'histoire pour le moins trouble des Noirs à la Maison-Blanche lorsque George et Laura Bush y accueilleront en après-midi Barack et Michelle Obama. Bâti en grande partie par une main-d'oeuvre asservie, ce symbole de la liberté américaine a compté parmi ses premiers occupants plusieurs présidents -Thomas Jefferson, James Madison et Andrew Jackson, entre autres- dont le personnel domestique était composé d'esclaves ramenés de leurs plantations.

Malgré l'émancipation des esclaves proclamée par Abraham Lincoln le 1er janvier 1863, les Noirs ont longtemps dû se contenter du rôle de serviteurs à la Maison-Blanche. Et jusqu'à la promulgation des lois sur les droits civiques et sur le droit de vote, en 1964 et en 1965, les anciens esclaves et leurs descendants ont été relégués au rang de citoyens de deuxième classe dans plusieurs États du Sud, dont trois -la Floride, la Virginie et la Caroline-du-Nord- ont voté pour Barack Obama mardi.

«Notre Constitution, pierre d'assise de notre république, l'interdit», avait déclaré le président Lyndon Johnson au sujet du racisme institutionnalisé avant de signer la loi sur les droits civiques à la Maison-Blanche devant le pasteur noir Martin Luther King. «Les principes de notre liberté l'interdisent. Et la loi que je signerai ce soir l'interdit.»

Moins de 50 ans plus tard, le président Bush semble comprendre parfaitement l'importance de l'évolution, voire de la révolution, qui lui permettra d'accueillir demain celui qui deviendra le 20 janvier 2009 le premier président noir des États-Unis.

«Nos concitoyens ont choisi un président qui représente un moment de triomphe dans l'histoire américaine, un homme au travail acharné, à l'optimisme et à la foi placées dans la promesse immuable qu'offre notre pays», a-t-il déclaré hier lors de son allocution radiophonique hebdomadaire.

Pendant que Laura Bush fera visiter la Maison-Blanche à la future First Lady, le président Bush s'entretiendra avec son successeur dans le Bureau ovale. Si l'on en juge par la première rencontre entre les deux hommes à la Maison-Blanche, l'événement pourrait donner lieu à des anecdotes savoureuses si l'un d'eux se donne la peine de les raconter un jour dans ses mémoires.

Première visite

George W. Bush a accueilli Barack Obama pour la première fois à la Maison-Blanche après l'élection de 2004. La jeune star du Parti démocrate faisait partie d'un groupe de parlementaires fraîchement élus au Sénat ou à la Chambre des représentants. Dans son deuxième livre, L'audace d'espérer, Obama raconte ainsi son premier contact avec celui auquel il allait un jour succéder:

«Obama! s'est-il exclamé en me serrant la main. Venez que je vous présente à Laura. Laura, tu te souviens d'Obama? Nous l'avons vu à la télévision pendant la soirée électorale. Belle famille. Et votre épouse, quelle femme impressionnante.»

Sur ces mots, le président Bush entraîna Obama dans un coin de la pièce.

«Vous n'avez pas d'objection à ce que je vous donne un conseil?

- Pas du tout, monsieur le président.

- Vous avez devant vous un brillant avenir. Très brillant. Mais je suis dans cette ville depuis un moment, et laissez-moi vous dire qu'elle peut être dure. Quand on est au centre de l'attention comme vous l'êtes, on se fait tirer dessus. Et les balles ne viendront pas forcément de mon camp, vous comprenez? Elles viendront aussi du vôtre. Tout le monde attend que vous fassiez un faux pas, vous me suivez? Alors faites attention.

- Merci du conseil, monsieur le président.»

Il faut maintenant espérer que les balles auxquelles faisait allusion George W. Bush ne sont que métaphoriques.