Mouammar Kadhafi n'est plus persona non grata à l'échelle internationale. Mais il n'est pas devenu pour autant de fréquentation agréable, constate la Suisse, sous forte pression pour avoir osé arrêter le fils du dirigeant libyen.

La Suisse, plus réputée pour sa neutralité que ses algarades diplomatiques, peut témoigner par les temps qui courent qu'il est délicat de remettre en question le comportement de dignitaires étrangers. Particulièrement s'il s'agit du fils d'un influent potentat africain.

 

Jeudi, l'agence officielle libyenne a signalé que le «Guide suprême», Mouammar Kadhafi, avait décidé d'interrompre les livraisons de pétrole à la Confédération helvétique et de retirer les avoirs de son pays des banques suisses, une ponction de 7 milliards de dollars. Toute coopération économique avec l'État européen a du même coup été suspendue.

Ces mesures de rétorsion, a indiqué le porte-voix du régime libyen, ont été prises à cause des «mauvais traitements» infligés par la police suisse à des diplomates et des hommes d'affaires libyens et demeureront en place jusqu'à ce que les raisons de ces pratiques soient «connues».

Comme des esclaves

Bien que son nom ne soit pas mentionné, le message fait référence aux démêlés judiciaires du fils cadet du chef d'État libyen, Hannibal, au coeur d'une singulière crise entre Berne et Tripoli.

L'homme, déjà connu pour ses frasques, avait été arrêté à la mi-juillet à Genève, deux semaines après avoir pris ses quartiers dans un chic hôtel de la ville avec sa femme et leur fils de quatre ans.

Peu après son arrivée, des employés de l'établissement alertent les autorités sur le fait que le couple se dispute et n'hésite pas, semble-t-il, à battre ses domestiques.

Les policiers appréhendent le duo après avoir libéré un Marocain de 35 ans, employé par le fils Kadhafi depuis cinq ans, et une Tunisienne, embauché quelques semaines plus tôt.

Les deux raconteront quelques jours plus tard qu'ils étaient traités comme des esclaves. «Être au service d'Hannibal, c'est 22 heures de travail par jour sans manger, des coups de ceinturon à la moindre occasion, des gifles, des insultes et un salaire de misère payé une fois par année», expliquera l'homme au quotidien Le Monde.

Hannibal reste détenu deux jours avant d'être libéré à la suite du versement d'une substantielle caution. Il quitte aussitôt le pays avec sa suite. Pour la Libye, furieuse de ce qu'elle juge être un affront, l'histoire est loin d'être terminée.

Oeil pour oeil

Tripoli réclame le retrait des plaintes contre le couple et la présentation d'excuses officielles, accusant au passage les deux domestiques de dramatiser la situation pour obtenir un titre de séjour. La fille du dirigeant libyen débarque à Genève en coup de vent avec ses gardes du corps et prévient que ce sera «oeil pour oeil, dent pour dent» tant que les choses ne seront pas rentrées dans l'ordre.

Deux hommes d'affaires suisses sont arrêtés à Tripoli sous des prétextes fallacieux. Les sièges d'entreprises suisses en Libye sont fermés, les vols interrompus. L'État africain menace de freiner ses exportations de brut mais ne fait rien, avant de finalement passer à l'acte cette semaine.

L'affaire est donc relancée de plus belle même si les plaintes au coeur du différend ont été retirées en septembre, les ex-domestiques ayant reçu, au dire de leur avocat, un dédommagement «correct» du régime libyen en échange de leur silence.

Les autorités suisses maintiennent qu'elles n'ont pas l'intention de présenter des excuses et que les réserves pétrolières du pays ne sont pas menacées même si les importations libyennes représentent 20% de ses besoins.