Imaginez 2300 terrains de football alignés un à côté de l'autre, sur lesquels s'entassent des centaines de milliers de personnes sous des abris de plastique et de bambou, sans eau courante ou installations sanitaires.

Plus des deux tiers d'entre elles sont des femmes et des enfants, dont plusieurs qui ont été victimes de violence sexuelle ou d'autres formes d'exploitation. Des terres forestières ont été rasées pour laisser la place aux abris, et des éléphants sauvages visitent donc occasionnellement les lieux.

C'est de cette manière que Michael Dunford décrit la transformation de la riche campagne bangladaise, dans le sud-est du pays, depuis la fin du mois d'août, quand quelque 600 000 musulmans rohingyas ont entrepris de fuir le Myanmar pour échapper à ce que plusieurs - dont l'ONU et la ministre des Affaires étrangères Chrysta Freeland - considèrent être une campagne de nettoyage ethnique.

Le Bangladesh accueille maintenant tout près d'un million de Rohingyas.

Ce n'est là qu'une portion de ce qui attend Bob Rae, le nouvel envoyé spécial du Canada pour la crise des réfugiés rohingyas. L'ancien premier ministre de l'Ontario et chef intérimaire du Parti libéral est arrivé mercredi dans ce pays de l'Asie du Sud-Est qui compte parmi les plus pauvres du monde.

«Cette population équivaut à celle de Washington D.C., mais pour le moment il n'y a rien là, a déploré M. Dunford, le coordonnateur des opérations d'urgence pour le Programme alimentaire mondial des Nations unies à Cox's Bazar, au Bangladesh. Nous essayons tous de nous souvenir si un événement de cette ampleur s'est déjà produit. Ce n'est probablement pas arrivé depuis le milieu des années 1990, avec le Rwanda et les Grands Lacs.»

Conrad Sauvé, le président de la Croix-Rouge canadienne, décrit de son côté de formidables obstacles environnementaux: la saison des pluies a maintenant commencé, ce qui signifie que le secteur s'est transformé en mare de boue.

«C'est aussi un endroit propice aux ouragans», rappelle-t-il.

Lors d'une série d'entretien, MM. Sauvé, Dunford et d'autres travailleurs humanitaires internationaux ont décrit la rapidité avec laquelle la situation s'est dégradée depuis le 25 août, quand l'armée birmane a lancé des «opérations de sécurité» en réplique aux attaques de militants rohingyas. Des foules de bouddhistes participent aussi aux violences.

Des agences humanitaires estiment que 70 % des réfugiés sont des femmes et des enfants. On rapporte que plusieurs filles et femmes ont été agressées sexuellement en prenant la fuite, après que leurs villages eurent été incendiés et leurs maris et pères tués. Elles arrivent au Bangladesh amaigries et traumatisées après un périple de plusieurs jours.

M. Sauvé a raconté avoir rencontré dans un hôpital de campagne de la Croix-Rouge un garçon de dix ans qui était arrivé quelques jours plus tôt avec son frère de deux ans, mais sans leurs parents. La Croix-Rouge leur a offert des soins, puis un travailleur social est allé vérifier chez qui ils vivaient.

«Nous avons déterminé qui était cet adulte et si l'environnement était sécuritaire pour eux», a expliqué M. Sauvé, puisque plusieurs enfants seuls sont souvent ciblés par des malfaiteurs.

Iljitsj Wemerman, un Néerlandais membre de l'équipe d'intervention rapide de l'agence humanitaire CARE International, était sur le terrain pour des crises au Soudan, en Somalie, au Yémen et ailleurs depuis dix ans, mais il a été estomaqué par son premier mois au Bangladesh.

«Toutes ces crises sont graves, mais ce que je vois ici, autant d'enfants et leurs mères, c'est frappant, a-t-il dit. On peut le voir dans leurs visages: ils ont vécu plusieurs choses. Ils sont traumatisés. Ils ne savent pas ce qui va leur arriver.»

Les humiliations se multiplient, poursuit M. Wemerman, qui rappelle que 200 personnes doivent se partager une seule toilette improvisée qui n'offre pratiquement aucune intimité.

On discute maintenant sur le terrain d'un déplacement des réfugiés vers un camp plus permanent, puisque les Rohingyas ne rentreront pas chez eux de sitôt, a dit M. Sauvé.

«On entend du gouvernement l'idée de construire un mégacamp, une ville en réalité, mais on ne sait pas quand ça va se faire. Le problème demeure l'hygiène, et c'est tout un problème», a-t-il expliqué.

Fred Witteveen, le directeur de World Vision au Bangladesh, croit que la visite de M. Rae pourrait aider à trouver une solution diplomatique à la crise.

«Il est important qu'il voit la réalité sur le terrain. Ça aide à se former une image d'une situation désespérée, a-t-il dit. Cela alimentera les discussions qu'il aura au plus haut niveau.»