Le secrétaire d'État américain Rex Tillerson s'est entretenu mardi au téléphone avec la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi au sujet des «allégations très inquiétantes» de «violations des droits de l'homme» contre la minorité musulmane des Rohingyas.

Rex Tillerson «a salué l'engagement du gouvernement birman à mettre un terme à la violence dans l'État Rakhine», dans l'ouest de la Birmanie, «et à autoriser les personnes déplacées par la violence à rentrer chez elles», a déclaré le département d'État américain dans un communiqué.

Il a également «exhorté le gouvernement et les militaires birmans à faciliter l'aide humanitaire pour les déplacés».

Il s'agit du premier entretien direct d'un dirigeant américain avec la prix Nobel de la paix depuis le début de la crise des Rohingyas fin août.

Plus de 420 000 personnes ont fui au Bangladesh voisin pour échapper à la campagne de représailles de l'armée birmane dans l'État Rakhine depuis des attaques menées le 25 août par des rebelles rohingyas.

Les États-Unis ont dénoncé la situation mais sans jamais blâmer Aung San Suu Kyi, pourtant sous forte pression internationale pour mettre un terme à un «nettoyage ethnique».

«Nous devons soutenir» la dirigeante du gouvernement civil birman «dans son leadership mais devons dire très clairement aux militaires» que «ceci est inacceptable», avait dit Rex Tillerson la semaine dernière à Londres.

Aung San Suu Kyi «prête» à organiser le retour des Rohingyas

La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi s'est dite mardi prête à organiser le retour des 421 000 Rohingyas réfugiés au Bangladesh, sans pour autant apporter de solution concrète à ce que l'ONU dénonce comme une épuration ethnique.

Quelques heures après l'intervention de Mme Suu Kyi, prononcée avant le début de l'Assemblée générale des Nations unies, le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a cependant réitéré son appel aux autorités birmanes.

Celles-ci «doivent mettre fin aux opérations militaires et permettre un accès humanitaire sans restriction» aux populations touchées par les combats, a-t-il dit depuis la tribune de l'Assemblée générale à New York.

En Birmanie, Aung San Suu Kyi avait prononcé son discours télévisé en anglais, et sans sous-titres en birman. «Nous sommes prêts à débuter la vérification» des identités des réfugiés, en vue de leur retour, a-t-elle déclaré sans préciser si les critères très restrictifs de retour seraient assouplis.

L'opinion publique birmane est chauffée à blanc par les critiques internationales sur le sort des plus de 420 000 membres de la minorité musulmane des Rohingyas réfugiés au Bangladesh. Ils ont fui l'État Rakhine, dans l'ouest de la Birmanie, où l'armée mène une vaste campagne de représailles depuis des attaques, le 25 août, de rebelles rohingyas.

Mardi matin en Birmanie, des milliers de personnes ont suivi dans les rues du pays, sur des écrans géants, le discours de la dirigeante, munis de petits drapeaux birmans et de pancartes affichant leur soutien à celle qui reste une icône dans son pays.

Devant les ambassadeurs réunis à Naypyidaw pour cette adresse à la Nation, Aung San Suu Kyi, très critiquée pour son silence et sa froideur durant plus de trois semaines de crise, a appelé à la fin des divisions religieuses entre majorité bouddhiste et minorité musulmane. Un message d'apaisement destiné surtout à la communauté internationale.

«Nous sommes profondément désolés pour les souffrances de tous ceux qui se sont retrouvés pris au piège de ce conflit», a-t-elle dit, évoquant les civils rohingyas ayant fui en masse au Bangladesh mais aussi les bouddhistes ayant déserté leurs villages.

Mais la prix Nobel de la paix n'est pas allée jusqu'à publiquement critiquer l'armée birmane, accusée d'épuration ethnique par les Nations unies. Et si elle a promis de punir tous les abus, «encore faut-il que nous disposions de preuves solides» des exactions, a-t-elle ajouté.

Une position que regrette Amnesty international, qui dénonce la «politique de l'autruche» d'Aung San Suu Kyi: «il existe des preuves écrasantes que les forces de sécurité sont engagées dans une campagne de nettoyage ethnique».

«Il y a toujours des fumées d'incendies qui s'élèvent au-dessus de l'État Rakhine (...). Ce n'est pas comme si tout s'était arrêté», a renchéri Phil Robertson, de Human Rights Watch, images satellites à l'appui.

Les enquêteurs de l'ONU ont demandé mardi un «accès complet et sans entrave» au pays pour y vérifier la situation des droits de l'Homme. Le Rakhine, verrouillé par les forces de sécurité, est inaccessible aux observateurs et médias internationaux.

Les réfugiés sceptiques

Les Rohingyas, plus grande population apatride au monde, sont traités depuis des années comme des étrangers en Birmanie, un pays à plus de 90% bouddhiste.

Victimes de discrimination depuis que la nationalité birmane leur a été retirée en 1982, ils ne peuvent pas voyager ou se marier sans autorisation. Et ils n'ont accès ni au marché du travail ni aux services publics (écoles et hôpitaux). Les ONG dénoncent cette situation depuis des années.

Dans les camps au Bangladesh, les nouveaux réfugiés étaient sceptiques quant à la possibilité du retour évoqué par la leader birmane.

«Mais comment prouverons-nous que nous sommes Birmans ? Nous n'avons pas de papiers», s'inquiète Abdur Razzak, arrivé au Bangladesh il y a cinq jours.

Sur le terrain, les forces de l'ordre bangladaises tentaient de maîtriser cette marée humaine. Dans l'impossibilité de s'installer dans des camps bondés, les nouveaux arrivants campent sur les bords des routes, dans les champs, dans les forêts.

Mardi, les autorités ont détruit des abris plantés à proximité du grand camp de Kutupalong. À travers des mégaphones, les policiers prévenaient les réfugiés qu'ils risquaient l'arrestation s'ils ne déménageaient pas du bord de la route.

Amina Khatun, 70 ans, avait d'abord établi une tente dans une plantation de caoutchouc, d'où elle a été chassée. Elle s'est ensuite abritée dans une école, elle en a également été expulsée.

«Nous courons partout comme des poulets décapités. Ils nous disent de partir maintenant. Pourquoi ?» se lamente-t-elle auprès de l'AFP.