La principale opposante à la sanglante guerre contre la drogue du président philippin Rodrigo Duterte a été arrêtée vendredi, mais a promis de continuer à lutter contre le « tueur en série sociopathe ».

Dans une déclaration à la presse peu avant sa reddition, la sénatrice Leila de Lima a balayé les accusations de trafic de drogue à l'origine de son arrestation.

« C'est un honneur d'être emprisonnée pour les choses pour lesquelles je me bats », a déclaré l'ancienne ministre de la Justice après une veillée au Sénat.

« Comme je l'ai dit depuis le début, je suis innocente », a ajouté celle qui fut aussi présidente de la commission philippine pour les droits de l'homme. « Ils ne pourront pas me faire taire et m'empêcher de me battre pour la vérité et la justice, contre les meurtres quotidiens et l'oppression du régime Duterte ».

« Il ne fait aucun doute que notre président est un meurtrier et un tueur en série sociopathe », a-t-elle affirmé par ailleurs dans une vidéo de 10 minutes postée sur sa page Facebook.

Leila de Lima, 57 ans, s'était réfugiée jeudi soir au Sénat après avoir échappé à la police qui avait tenté de l'arrêter à son domicile.

Elle s'est rendue dans la matinée à des policiers armés revêtus de gilets pare-balles qui l'ont emmenée dans un centre de détention pour célébrités au sein du siège de la police nationale.

« Harcèlement politique »

Les cellules y sont spartiates, mais nettement plus confortables que celles des prisons philippines surpeuplées.

Des poursuites avaient été lancées contre elle la semaine dernière, au motif qu'elle aurait monté un réseau de trafic de drogue lorsqu'elle était ministre sous l'ex-président Benigno Aquino.

M. Duterte a été élu président en mai en promettant d'éradiquer le fléau de la drogue en faisant abattre des dizaines de milliers de personnes, trafiquants et toxicomanes.

Depuis son entrée en fonctions fin juin, la police a annoncé avoir tué 2555 suspects, tandis qu'environ 4000 autres personnes ont été abattues dans des circonstances non élucidées.

L'ONG Amnestie internationale a jugé que les agissements de la police pourraient être assimilables à un crime contre l'humanité.

Peu avant l'arrestation de Mme de Lima, l'organisation a estimé que la sénatrice devrait être considérée comme une prisonnière d'opinion.

« L'arrestation de de Lima est une tentative claire du gouvernement philippin de faire taire les critiques envers le président Duterte et de détourner l'attention des graves violations des droits de l'homme dans la "guerre contre la drogue" », écrit Amnestie.

« Les gens ont peur », a déclaré le père Robert Reyes, un prêtre qui a veillé toute la nuit avec la sénatrice. « Si le gouvernement peut arrêter une personne aussi puissante, quid des petites gens ? »

La vice-présidente Leni Robredo, membre du Parti libéral de Mme De Lima et élue lors d'une élection distincte de celle de M. Duterte, a estimé que cette arrestation relevait du « harcèlement politique ».

« Je la détruirai »

À la présidence, on soutient au contraire que cette arrestation montre que même les puissants peuvent être traduits en justice.

« La guerre contre les drogues illégales prend pour cible tous ceux qui sont impliqués et l'arrestation d'une sénatrice en fonction montre la ferme résolution du président de combattre les vendeurs de drogue [...] et leurs protecteurs », a déclaré le porte-parole de la présidence Ernesto Abella.

Cette arrestation est le point d'orgue d'un vieux contentieux entre M. Duterte et Mme De Lima.

À la tête de la commission des droits de l'homme, elle avait en 2009 ouvert une enquête sur les agissements de M. Duterte à Davao, la grande métropole du Sud dont il a longtemps été le maire.

Il est soupçonné d'y avoir orchestré ou toléré des escadrons de la mort qui ont visé des criminels présumés et des enfants des rues, tuant plus de 1000 personnes.

Le président a commencé en août à évoquer publiquement des accusations de trafic de drogue contre la sénatrice.

« Je la détruirai publiquement », avait-il averti en lançant une campagne pour salir sa réputation, en se répandant notamment en horreurs sur sa vie sexuelle.

« De Lima ne baise pas seulement avec son chauffeur, elle baise aussi la nation », avait-il lancé.