Des avocats pakistanais faisaient grève et manifestaient mardi pour protester contre l'attentat suicide qui a tué la veille 72 personnes, dont nombre de leurs confrères dans le sud-ouest du pays.

L'attentat a frappé l'hôpital civil de Quetta (sud-ouest) au moment où environ 200 personnes, en grande partie des avocats et des journalistes, étaient venues se recueillir sur la dépouille du bâtonnier de la province, assassiné quelques heures plus tôt.

La ville, sous le choc, était quasi déserte mardi, la plupart des transports publics étant interrompus, tandis qu'école et marchés étaient fermés en signe de deuil.

La police était déployée devant le site de l'explosion, qui a fait 72 morts et une centaine de blessés selon un dernier bilan de sources médicale et policière.

L'attentat a été revendiqué lundi soir à la fois par une faction dissidente talibane, Jammat-ul-Ahrar (JuA), puis par le groupe Etat islamique (EI). Aucune de ces revendications n'a été authentifiée par les autorités pakistanaises.

Des protestations rassemblant des dizaines d'avocats ont eu lieu dans plusieurs villes du pays.

«C'est tragique, ce sont nos supérieurs, nos intellectuels qui ont été tués», a déploré l'avocat Ghulam Muhammad lors d'un rassemblement à Quetta. Un autre avocat manifestant à Karachi, Muhammad Zulqarnain, a réclamé «que le gouvernement améliore la sécurité des avocats». «La nation est triste. C'est la troisième ou quatrième fois que les terroristes s'en prennent aux avocats, car ils (...) défendent les droits des gens», a souligné Raja Shafqat Abbasi, un avocat d'Islamabad.

Se joignant aux nombreuses condamnations internationales, le pape François a envoyé ses condoléances aux proches des victimes.

S'il s'avérait que l'EI était responsable de cette attaque, cela serait la plus meurtrière jamais menée par le groupe jihadiste au Pakistan, où il peine à s'implanter.

De son côté, le JuA, formé en 2014, a notamment revendiqué l'attentat le plus meurtrier de l'année, un carnage dans un parc pour enfants de Lahore qui a coûté la vie à 75 personnes le week-end de Pâques.

Le département d'État américain a inscrit ce groupe sur sa liste des organisations terroristes la semaine dernière, en le décrivant comme une «faction des Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, talibans pakistanais) basée dans la zone frontalière entre l'Afghanistan et le Pakistan».

Confusion

La branche de l'EI pour le Pakistan et l'Afghanistan, largement composée d'anciens talibans, est également classée comme terroriste.

Rares sont les attaques revendiquées par l'EI au Pakistan, où le groupe jihadiste fait face à une concurrence vive de mouvements islamistes solidement établis, dont les talibans. Sa pire attaque a visé un bus de chiites à Karachi mi-2015, coûtant la vie à 47 personnes.

En revanche, en Afghanistan, l'EI a enregistré des avancées, revendiquant notamment un double attentat suicide qui a fait 80 morts le mois dernier au coeur de Kaboul, la pire attaque dans la capitale afghane depuis 2001.

L'expert Rahimullah Yousafzai, fin connaisseur des talibans, a émis des doutes sur les deux revendications, soulignant qu'il n'y avait que peu de signes jusque-là d'une présence de l'EI ou de JuA au Baloutchistan. Mais les kamikazes peuvent frapper n'importe où, «donc on ne peut l'exclure».

Les revendications ne sont peut-être pas contradictoires, a-t-il ajouté, évoquant la possibilité d'une attaque conjointe. «On n'a pas d'éléments concrets», a-t-il souligné.

La situation est particulièrement confuse au Baloutchistan, province frontalière de l'Iran et de l'Afghanistan, riche en ressources naturelles, mais secouée par des violences confessionnelles entre sunnites et chiites, des attaques islamistes et une insurrection séparatiste.

La puissante armée pakistanaise a estimé que l'attaque «visait spécifiquement le CPEC», l'ambitieuse liaison routière et énergétique qui doit rallier la Chine à la mer d'Arabie via le Baloutchistan, un investissement majeur pour le Pakistan.

Ce vaste chantier a déjà été confronté à des problèmes de sécurité par le passé, notamment des attaques séparatistes, mais la Chine a assuré faire confiance à l'armée pakistanaise pour assurer la sécurité du projet. Cette dernière est accusée de violations récurrentes des droits de l'Homme au Baloutchistan par des organisations de défense de ces droits.