Pour la première fois dimanche, à l'occasion des sénatoriales, tous les Japonais de 18 et 19 ans pourront glisser un bulletin dans l'urne, un défi à relever par les jeunes dans un pays où le débat politique n'est encouragé ni à l'école ni à la maison.

C'est l'an dernier que le grisonnant archipel a entériné cette petite révolution, même si l'âge de la majorité reste fixé à 20 ans. Environ 2,4 millions de Japonais, sur une population totale de 127 millions, vont bénéficier de cette mesure entrée en vigueur le 19 juin.

Selon un sondage de l'agence Kyodo, 90 % des nouveaux votants avouent avoir du mal à comprendre les programmes des partis politiques nippons.

Un facteur de stress pour ces électeurs en herbe. « Je pense qu'il ne faut pas voter sans réfléchir », affirme Takumi Numata, 19 ans, étudiant de Kawasaki, qui compte se documenter sérieusement pour que son choix « reflète ses idées ».

Pour préparer le terrain, le ministère de l'Éducation a distribué à l'automne des manuels de politique dans toutes les écoles secondaires du pays. Parmi les recommandations aux enseignants figure la mise en place de simulations d'élection.

Mais Ryouhei Takahashi, professeur à l'Université de Chuo à Tokyo et fondateur du Conseil japonais pour la jeunesse, doute de l'efficacité de tels programmes. « Je ne crois pas que l'éducation politique doive se réduire à apprendre aux élèves à placer leur bulletin dans l'urne au moment du vote », ironise-t-il. « Elle doit surtout enseigner aux jeunes une culture politique pour qu'ils puissent se forger leur propre opinion ».

Absence de débat

Si l'enseignement de la politique est inscrit dans la Loi fondamentale sur l'éducation (1947, révisée en 2006), la matière est délaissée. En cause, l'interdiction de faire la promotion d'un parti politique en particulier, mentionnée dans le même texte et interprétée comme l'interdiction de tout débat politique à l'école. Entre autocensure et manque de formation, ou simplement par désintérêt, les enseignants ne s'attardent pas sur le sujet.

« "Lisez ça", nous a balancé le professeur en distribuant la brochure du gouvernement sur les élections. Et c'était tout », regrette Natsumi Tomita, 19 ans, évoquant sa dernière année de secondaire. « J'étais un peu perdue parce qu'on n'avait reçu aucune explication avec ».

Pour l'universitaire Takahashi, plus qu'à éduquer, le gouvernement cherche à afficher des chiffres flatteurs en augmentant le taux de participation des jeunes aux élections. Lors du dernier scrutin national en décembre 2014, les Japonais âgés d'une vingtaine d'années avaient été seulement 33 % à se déplacer, contre 68 % des personnes de la soixantaine.

Nombreux interdits

Les partis politiques japonais redoublent eux aussi d'efforts pour attirer les votes des nouveaux venus, certains allant jusqu'à publier leurs programmes sous forme de mangas ou de dessins animés, des initiatives taxées « d'infantilisantes » sur les réseaux sociaux.

Il faut aller plus loin, argue Kensuke Harada, responsable de l'association à but non lucratif « Youth Create », qui organise des campagnes de sensibilisation à la politique pour les jeunes. « L'abaissement de l'âge du droit de vote à 18 ans n'est que le début de l'engagement des jeunes en politique. Il faut qu'ils puissent faire entendre leur voix de manière plus régulière, en dehors des périodes d'élection ».

Les restrictions sont encore trop nombreuses, déplore-t-il, dans un pays gouverné en priorité par et pour leurs aînés. Jusqu'à récemment les élèves du secondaire avaient interdiction totale de s'engager dans des activités politiques, en vertu d'une recommandation du ministère de l'Éducation de 1969. Révisée à l'automne 2015, elle autorise désormais les élèves à militer, mais uniquement en dehors de l'école.

De même, seules les personnes de plus de 18 ans ont le droit de s'engager dans des campagnes politiques sur Twitter. Les jeunes de 16-17 ans ne peuvent pas promouvoir un candidat ou un parti en particulier sur le réseau social.

Prochaine étape, l'entrée en politique. Pour l'instant, les Japonais doivent avoir 25 ans révolus pour être élus à la Chambre des députés et au moins 30 ans pour accéder au Sénat, contre respectivement 18 et 24 ans en France.