L'arrestation et la libération subséquente, dans des circonstances encore nébuleuses, d'un groupe de libraires de Hong Kong marquent-elles un changement de cap préoccupant dans l'attitude de Pékin envers l'ancienne colonie anglaise ? Ou s'agit-il plutôt d'un dérapage unique que les autorités chinoises peinent à corriger sans perdre la face ?

Thomas Plate, spécialiste de l'Asie rattaché à l'Université Loyola Marymount, à Los Angeles, « espère » qu'il s'agit d'une erreur plutôt que d'une remise en cause en bonne et due forme des engagements pris par la Chine en vertu du principe « un pays, deux systèmes » lors de la rétrocession de l'ex-colonie par la Grande-Bretagne.

Selon cet analyste, il n'est pas impossible que des membres de l'appareil sécuritaire aient pris l'initiative de cibler le groupe de libraires, qui était lié à la diffusion d'ouvrages visant les dirigeants du régime, pour envoyer un message sans bien en mesurer les conséquences.

S'il s'agit plutôt d'une décision mûrement réfléchie venue des plus hauts échelons du pouvoir, il s'agit d'une réaction exagérée qui aura un coût important pour Pékin « sur les plans juridique, tactique et stratégique », note M. Plate.



CRAINTES EXACERBÉES

Les dirigeants chinois avaient promis, en réintégrant l'ex-colonie anglaise, de permettre à Hong Kong de conserver un degré important d'autonomie tout en étant partie intégrante du géant asiatique, assurant du coup à sa population la protection des libertés individuelles dont elle bénéficiait traditionnellement.

Nombre de résidants pensent cependant que leurs droits s'érodent aujourd'hui sous la pression du gouvernement central et voient dans les démêlés des libraires une illustration criante du phénomène.

Leurs craintes sont exacerbées par les déclarations de l'un des libraires disparus, Lam Wing-kee, qui s'est adressé aux médias la semaine dernière après être rentré à Hong Kong.

Il a déclaré qu'il avait été enlevé par un groupe d'hommes lors de son arrivée en Chine continentale en octobre 2015 et transféré manu militari dans un centre de détention, où il a été maintenu en isolement pendant des mois, sans savoir ce qui l'attendait.

M. Lam, qui chapeautait une librairie distribuant les ouvrages controversés de la maison d'édition Mighty Current, a indiqué que les autorités lui avaient ordonné de rentrer à Hong Kong pour récupérer la liste des clients de l'entreprise, ce qu'il refuse de faire.

Trois autres libraires sont rentrés il y a quelques mois mais demeurent sous la surveillance des autorités. L'éditeur de Mighty Current, Gui Minhai, qui avait disparu en Thaïlande en octobre, demeure pour sa part détenu en Chine continentale.

INCOHÉRENCES

Jeff Wasserstrom, spécialiste de la Chine rattaché à l'Université de Californie à Irvine, souligne que la version de Pékin est remplie, depuis le début de l'affaire, d'incohérences qui la rendent peu crédible.

L'idée avancée à plusieurs reprises voulant que les libraires se soient volontairement présentés aux autorités chinoises pour participer à une enquête en cours semble notamment battue en brèche par le témoignage de Lam Wing-kee.

Selon lui, les derniers développements dans ce dossier vont exacerber les craintes des résidants de Hong Kong envers Pékin et faire monter la pression sur le gouvernement local, qui a annoncé hier son intention de demander des éclaircissements aux dirigeants chinois.

« Ils n'ont pas le choix de dire ça en raison de la grogne populaire, mais ils sont tellement liés étroitement au gouvernement central qu'il est certain que ça ne va rien changer », relève M. Wasserstrom.

Thomas Plate espère de son côté que les « têtes froides » vont prévaloir au sein du gouvernement à Pékin et que le régime va demeurer fidèle au principe « un pays, deux systèmes » plutôt que de se lancer dans une surenchère répressive.

« Si le scénario des libraires se répète, on saura assurément que le régime a changé de politique » envers Hong Kong, dit-il.