Des milliers d'Indonésiens souffrant de troubles psychiatriques sont enchaînés ou confinés dans des locaux exigus et insalubres, parfois pendant des années, sans recevoir les soins requis pour remédier à leur condition.

« Ils sont traités moins bien que des animaux. Il n'y a pas de mots pour décrire ce qu'ils doivent endurer », souligne Kriti Sharma, qui a chapeauté un rapport à ce sujet pour Human Rights Watch.

L'activiste a notamment été marquée par le cas d'une femme de près de 50 ans vivant en région rurale dans l'île de Java et qui a été enfermée pendant 15 ans par ses parents en raison de son comportement erratique.

Selon Mme Sharma, le père a pris cette décision parce que sa fille ne cessait de déterrer les plants de voisins, ce qui causait de l'embarras à la famille.

« Lorsque je l'ai vue, elle était nue dans une pièce remplie de rocaille qu'elle avait générée en tentant de creuser un trou pour s'échapper. »

Les seuls contacts quotidiens de la captive, qui devait uriner et déféquer dans l'espace restreint où elle vivait, se résumaient aux moments où ses parents introduisaient de la nourriture par un trou aménagé dans le mur.

« Elle a été séquestrée tellement longtemps qu'elle ne pouvait plus se lever, ses muscles s'étaient trop atrophiés », relate Mme Sharma.

Malgré la situation choquante de sa fille, le père n'était pas embarrassé de la montrer.

« Les parents ne pensaient pas qu'ils faisaient quelque chose de mal. Ils ne voyaient pas d'autre solution que de l'enfermer », relate-t-elle.

Encore 18 000 cas

Des données gouvernementales relayées par Human Rights Watch suggèrent que près de 60 000 personnes souffrant de troubles psychiatriques ont déjà été enchaînées ou enfermées de pareille façon. À l'heure actuelle, près de 18 000 personnes se retrouveraient dans une situation similaire même si la pratique est officiellement interdite depuis près de 40 ans.

La rareté des ressources en santé mentale explique en partie l'ampleur du phénomène, qui touche aussi d'autres pays d'Asie et d'Afrique.

L'Indonésie dispose d'un réseau étendu d'établissements de soins de santé locaux, mais les services spécialisés requis pour les troubles psychiatriques sont beaucoup plus rares.

De nombreuses zones rurales ne sont pas couvertes. Souvent, les frais de transport pour se rendre dans les centres spécialisés sont prohibitifs pour les familles.

Les croyances existantes relativement aux maladies mentales contribuent aussi aux mauvais traitements. Nombre d'Indonésiens demeurent convaincus que ces affections témoignent du fait que la personne est habitée par des esprits maléfiques ou qu'elle s'est comportée de manière immorale.

Souvent, les familles se tournent vers des guérisseurs traditionnels ou religieux plutôt que vers les établissements médicaux reconnus par l'État.

Un de ces guérisseurs a expliqué qu'il avait diagnostiqué la maladie psychiatrique d'un jeune garçon de 13 ans en lui palpant la tête, la poitrine et les jambes. Et qu'il relâchait ses patients quand ils étaient « froids ».

Souvent, les personnes confiées à ces guérisseurs sont enchaînées et ne peuvent se déplacer que sur une distance d'un mètre ou deux.

Dans les hôpitaux psychiatriques également

La pratique a aussi cours dans les hôpitaux psychiatriques, relève Human Rights Watch, qui dénonce le fait que des traitements radicaux sont utilisés sans le consentement des patients.

L'organisation a notamment relevé que des électrochocs étaient administrés sans aucune anesthésie. Des cas d'agressions sexuelles par des membres du personnel ont aussi été recensés.

Les personnes qui sont relâchées sont loin d'être tirées d'affaire, puisque leur condition peut facilement recommencer à se détériorer lorsqu'elles retournent dans leur communauté, faute de suivi approprié et de médicaments.

« Ce n'est souvent qu'une question de temps avant qu'elles se retrouvent enchaînées ou enfermées de nouveau », relève Mme Sharma, qui presse le gouvernement d'accroître ses efforts pour endiguer le phénomène.

L'État indonésien a multiplié les campagnes de sensibilisation et chapeaute des équipes d'urgence qui peuvent intervenir lorsque des cas de séquestration sont rapportés.

Il reste cependant beaucoup à faire, au dire de Mme Sharma, pour que les mauvais traitements cessent et que les personnes souffrant de problèmes psychiatriques soient traitées avec dignité.