Aung San Suu Kyi a officiellement renoncé jeudi à ses ambitions présidentielles et proposé un de ses plus fidèles compagnons de dissidence pour devenir président à sa place.

«Je voudrais proposer Htin Kyaw au nom de la NLD», a déclaré devant le Parlement Khin San Hlaing, députée de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), le parti d'Aung San Suu Kyi.

Celle-ci ne peut accéder - du moins pour ce mandat - à la présidence en raison d'un article de la Constitution héritée de la junte, qui interdit la fonction à quiconque a des enfants de nationalité étrangère, ce qui est le cas d'Aung San Suu Kyi, qui a deux fils britanniques.

Mais jusqu'à jeudi matin, ses partisans avaient espéré un revirement surprise et une candidature de la très populaire Dame de Rangoun elle-même.

Depuis des mois, les négociations en ce sens avec les puissants militaires s'étaient poursuivies, en vain. Dans un silence propice aux spéculations, les rumeurs les plus diverses avaient circulé, évoquant le médecin d'Aung San Suu Kyi ou son assistante.

Ces derniers jours, le nom de Htin Kyaw, 69 ans, revenait souvent.

Ce diplômé d'économie est le fils d'un écrivain et poète birman renommé et un ami d'enfance d'Aung San Suu Kyi. Il se chargea occasionnellement de jouer les chauffeurs personnels de Suu Kyi.

Les Birmans, qui ont participé en masse aux législatives du 8 novembre 2015, attendent maintenant l'élection formelle du président - qui devrait prendre quelques jours - et la constitution du premier gouvernement élu depuis des générations, dans un pays ruiné par près de 50 ans de dictature militaire.

Htin Kyaw «travaille avec Aung San Suu Kyi depuis de longues années, c'est quelqu'un en qui on peut avoir confiance», a réagi, interrogé par l'AFP au Parlement, Bo Bo Oo, député de la NLD.

«Bien sûr que je vais voter pour Htin Kyaw», confie-t-il, parmi des centaines de nouveaux élus enthousiastes.

Pas d'apparition publique

Htin Kyaw n'était pas présent jeudi au Parlement et n'a pas fait d'apparition publique pour l'heure.

Aung San Suu Kyi, elle-même députée, n'a pas fait de commentaires, se bornant à un rare communiqué avant la révélation du nom de Htin Kyaw.

«C'est une étape importante vers la réalisation des désirs et attentes des électeurs qui ont soutenu avec enthousiasme la NLD» aux élections de novembre 2015, dit-elle seulement.

Les commentateurs politiques soulignent, comme l'historien Thant Myint-U, «l'intégrité» de cette personnalité respectée de la NLD et membre de la garde rapprochée d'Aung San Suu Kyi.

Majoritaire au sein des deux chambres du Parlement, malgré la présence d'un quart de députés militaires non élus, la NLD est certaine de pouvoir faire élire Htin Kyaw, qui doit remplacer début avril le président sortant, Thein Sein, ancien général de la junte chargé de la transition depuis 2011.

Le fait qu'ait été choisi l'un des proches de Suu Kyi, assez accommodant pour accepter qu'elle soit «au-dessus» du président, comme elle l'a promis avant le scrutin, n'a rien d'une surprise.

Htin Kyaw est le candidat de la Chambre basse du Parlement. La Chambre haute du Parlement, également dominée par la NLD, a également choisi son candidat, Henry Van Theu, diplômé en droit et représentant de la minorité ethnique Chin.

Un troisième candidat doit être proposé par les députés militaires non élus.

Mais, sauf surprise, Htin Kyaw sera président, les deux autres candidats vice-présidents.

La question est maintenant de savoir comment Aung San Suu Kyi pourra mener à bien les réformes dans les cinq années à venir via Htin Kyaw et comment elle va négocier la relation avec les militaires, qui restent incontournables sur le plan politique et nomment trois ministres-clés (Défense, Intérieur et Frontières).

Certaines rumeurs la donnent ministre des Affaires étrangères, d'autres tirant les ficelles du gouvernement sans fonctions officielles au sein de l'exécutif, à la manière d'une Sonia Gandhi en Inde.

Le goût pour la centralisation du pouvoir par Aung San Suu Kyi, dont au sein même de son parti certains n'hésitent pas à dénoncer la rigidité et l'absence d'esprit de concertation, va désormais se retrouver à l'épreuve du pouvoir.

PHOTO AUNG SHINE OO, ARCHIVES AP

Htin Kyaw