Cinq résidants de Hong Kong liés à une firme d'édition et une librairie diffusant des livres critiques du régime communiste chinois ont disparu au cours des derniers mois, suscitant un vent d'inquiétude dans l'ex-colonie britannique.

Trois des hommes ont été portés manquants en octobre alors qu'ils séjournaient en Chine continentale, dans la province du Guangdong. Un quatrième, copropriétaire de la maison d'édition en question, passait des vacances à Pattaya, en Thaïlande, lorsqu'il a été vu pour la dernière fois.

L'autre copropriétaire de l'entreprise, Lee Bo, est disparu à son tour le 30 décembre après avoir été aperçu lorsqu'il quittait un entrepôt à Hong Kong.

Selon des médias locaux, il a par la suite appelé sa femme pour l'informer qu'il se trouvait à Shenzhen, une ville de Chine continentale, et qu'il assistait les autorités dans le cadre d'une enquête. Il parlait mandarin, ce qui n'est pas sa langue habituelle, laissant suggérer une possible surveillance.

Sa présence hors de l'ex-colonie a entraîné rapidement des soupçons d'enlèvement, notamment parce qu'il est parti sans le permis requis. Et que les autorités de Hong Kong n'ont pas trouvé trace de son passage à la frontière à cette occasion.

La conjointe du disparu, qui avait signalé la situation à la police la semaine dernière, a retiré sa plainte en début de semaine après qu'une lettre manuscrite provenant supposément de son mari eut été transmise par télécopieur à un collègue à Hong Kong.

Dans ce document, Lee Bo assure qu'il a pris «son propre chemin» pour se rendre en Chine et réitère qu'il participe à une enquête qui pouvait prendre du temps avant d'être terminée.

L'éditeur s'était dit convaincu en novembre dernier, dans une entrevue au South China Morning Post, qu'il serait à l'abri des autorités chinoises tant qu'il restait à Hong Kong.

Il disait craindre que ses collègues soient détenus par Pékin et avait avancé l'hypothèse qu'un livre à venir sur le président Xi Jinping avait peut-être mis le feu aux poudres.

Une atteinte «inacceptable» à l'autonomie de Hong Kong

Plusieurs activistes qui avaient participé aux manifestations de masse contre le gouvernement central l'année dernière à Hong Kong soupçonnent les forces de sécurité chinoises d'avoir appréhendé l'éditeur sur place pour l'entraîner en Chine continentale.

Le chef de l'exécutif de l'ex-colonie, Leung Chun-Ying, a déclaré lundi qu'une telle intervention serait une atteinte «inacceptable» à l'autonomie du petit territoire.

Seules les forces policières de Hong Kong ont l'autorité officielle pour procéder à des arrestations, a-t-il rappelé, en assurant qu'une demande officielle de renseignements avait été envoyée à Pékin.

Le ministère des Affaires étrangères chinois a fait savoir qu'il n'avait aucune information à ce sujet. L'un des porte-voix du régime, le Global Times, a martelé de son côté que la maison d'édition et la librairie associée diffusaient des ouvrages qui attaquaient «de manière vicieuse» le régime communiste. Le journal a relevé que Hong Kong ne pouvait servir de base à des «forces hostiles» visant à déstabiliser le système politique chinois.

«Si l'on mettait tous ces rebondissements dans un roman, ça semblerait invraisemblable, mais c'est vraiment en train d'arriver», explique Jeff Wasserstrom, spécialiste de la Chine à l'Université de Californie à Irvine.

L'expert note que l'envoi d'agents spéciaux chinois au sein de l'ex-colonie pour enlever un critique du régime constituerait une atteinte importante à l'accord d'autonomie prévue lors de la rétrocession de Hong Kong par la Grande-Bretagne.

La population locale, dit-il, se montre déjà très soucieuse de voir s'éroder progressivement les libertés individuelles dont elle disposait avant le transfert et réagit fortement aux disparitions des derniers mois.

La crainte de voir Pékin resserrer son emprise sur Hong Kong était au coeur du mouvement de protestation d'envergure qui a paralysé l'ex-colonie pendant des mois l'année dernière.

Il s'était terminé sans véritable concession du pouvoir chinois, qui a refusé notamment de revoir en profondeur le processus de sélection du chef de l'exécutif, souvent vu comme un pantin du régime.

M. Wasserstrom note que les interventions de Leung Chun-Ying relativement au rôle possible de Pékin dans les disparitions tiennent plus de la «posture» que d'une réelle volonté de confrontation et ne mèneront sans doute à rien.

«On a bien vu lors des manifestations de l'année dernière que l'exécutif suivait la ligne de conduite dictée par le gouvernement central. Ça ne devrait pas changer cette fois», relève l'analyste.

Des opérations à l'étranger?

La spéculation entourant le rôle présumé du gouvernement central dans la disparition de plusieurs résidants de Hong Kong replace sous les projecteurs d'autres interventions menées secrètement en sol étranger par les forces chinoises. Le régime s'est notamment félicité des succès de l'opération Fox Hunt, qui aurait permis, grâce à l'action d'agents spéciaux, de «convaincre» plusieurs riches Chinois soupçonnés de corruption de rentrer au pays. L'administration américaine a demandé l'été dernier à Pékin de retirer les agents secrets déployés aux États-Unis à cette fin. Une crise diplomatique était survenue par ailleurs avec l'Australie en 2014 après que deux agents chinois traquant un citoyen soupçonné de fraude ont été découverts à Melbourne. Un chef de police chinois cité par le New York Times a donné en novembre une idée des méthodes utilisées pour forcer le retour des fugitifs, en relevant qu'il était toujours possible de les retracer par leur famille. «Un fugitif est comme un cerf-volant en vol. Même s'il est à l'étranger, le fil est retenu en Chine», a-t-il précisé.