Les médias et le gouvernement chinois se félicitaient à nouveau lundi, sondage en ligne à l'appui, de l'expulsion imminente de la correspondante en Chine de l'hebdomadaire français L'Obs.

Le ministère chinois des Affaires étrangères avait confirmé samedi qu'Ursula Gauthier, en poste à Pékin depuis six ans, n'obtiendrait pas le renouvellement de sa carte de presse, l'accusant de «défendre de manière flagrante» des actes terroristes dans un article publié mi-novembre et d'avoir ainsi «provoqué l'indignation du peuple chinois».

Le Global Times, quotidien au ton habituellement nationaliste et à la pointe des critiques contre Ursula Gauthier, saluait lundi le résultat d'un sondage publié sur son site internet et intitulé «soutenez-vous l'expulsion de la journaliste française en poste en Chine qui défend publiquement les terroristes?».

Selon un pointage réalisé lundi soir, 202 318 votes sont en faveur de la décision d'expulsion, soit 94,4% du total.

La plupart des internautes chinois n'ont cependant pas pu lire l'article de la journaliste, non traduit intégralement en mandarin et désormais inaccessible dans sa version française sur le web en Chine, où les autorités maintiennent une stricte censure des contenus en ligne.

«Certains ont dit que la Chine n'a pas renouvelé sa carte de presse parce qu'elle a critiqué les politiques nationales chinoises», a déclaré lundi Lu Kang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, lors d'un point-presse régulier.

«Mais (...) elle travaille en Chine depuis plus de dix ans. Durant cette période, elle a souvent critiqué les politiques chinoises relatives aux groupes ethniques et elle travaille toujours ici», a-t-il poursuivi, soulignant que sur les «plus de 600 journalistes de 300 médias étrangers travaillant en Chine (...), tous, à l'exception de Mme Gauthier, ont vu leur carte de presse renouvelée» cette année.

«Les avocats, les intellectuels, les journalistes (chinois) sont impressionnants. Mais je trouve que le système aujourd'hui prouve qu'il n'est pas à la hauteur de son peuple», a déclaré lundi à l'AFP la journaliste de L'Obs.

Des excuses «impensables» 

Le ministère avait informé vendredi Ursula Gauthier que, faute d'«excuses publiques» de sa part, elle n'obtiendrait pas de nouvelle carte de presse, ce qui l'empêchera d'obtenir le renouvellement de son visa et l'obligera à quitter le pays au plus tard le 31 décembre.

Elle avait déjà signifié aux autorités que les excuses réclamées étaient à ses yeux «hors de question» et «impensables».

Dans un article publié le 18 novembre dernier sur le site internet de L'Obs, la journaliste écrivait notamment que l'attaque meurtrière d'employés d'une mine dans la région autonome du Xinjiang (nord-ouest), peuplée de nombreux Ouïghours musulmans dont certains se plaignent de la tutelle de Pékin, «ne ressemble en rien aux attentats du 13 novembre» à Paris, mais était «une explosion de rage localisée».

«Peu importe que Mme Gauthier l'admette ou non, son article qui déforme les faits équivaut à justifier les attaques terroristes au Xinjiang», estimait lundi l'agence de presse officielle Chine nouvelle.

«Imaginez comment le public français réagirait si quelqu'un disait des attentats de Paris qu'ils étaient le résultat inévitable de la politique (française) à l'égard des immigrés musulmans», a déclaré Li Wei, un expert de l'antiterrorisme à l'Institut chinois des relations internationales contemporaines, cité lundi par le Global Times.

Mme Gauthier est le premier correspondant étranger en Chine à être expulsé depuis Melissa Chan en 2012, qui travaillait pour la chaîne de télévision Al-Jazeera.

La journaliste critique Pékin et Paris

PARIS - La Chine veut «museler la presse internationale», a estimé lundi la journaliste française Ursula Gauthier, en passe d'être expulsée par Pékin, qui juge la réaction du gouvernement français «pas du tout au niveau de l'enjeu».

«Il ne s'agit pas de moi, il s'agit d'une tentative très violente de museler la presse internationale», a dénoncé la correspondante en Chine de l'hebdomadaire L'Obs, interrogée sur la radio France Inter.

«Ce n'est pas que moi qui suis visée là. La Chine ayant le rôle que l'on connaît maintenant, il est très important qu'on ne la laisse pas retomber dans des façons que l'on croyait totalement révolues et qui rappellent la Révolution culturelle», a-t-elle ajouté.

Les autorités chinoises lui reprochent un article sur la politique décrite comme répressive à l'égard du Xinjiang, vaste région en majorité musulmane de l'ouest de la Chine.

Vendredi, elles ont informé Ursula Gauthier que, faute d'«excuses publiques», sa carte de presse ne serait pas renouvelée, ce qui rend impossible le renouvellement de son visa.Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré «regretter» cette décision.

Selon Ursula Gauthier, cette réaction «n'est pas du tout au niveau de l'enjeu de ce qui est en train de se produire» en Chine, où «la liberté de la presse est vraiment en grand danger».

Selon elle, «la presse chinoise elle-même a été totalement muselée».

«Il y avait encore des franges, en particulier dans les provinces, des médias qui avaient une certaine indépendance et qui pouvaient traiter de sujets qui n'étaient pas totalement orthodoxes. Ces médias ne peuvent plus le faire», a-t-elle témoigné.

Il y avait aussi «les blogueurs qui écrivaient dans les réseaux sociaux (...) c'était une voix indépendante. Ceux-là ont été muselés également et on les a paradés à la télévision avec les chasubles des prisonniers pour montrer à quel point c'étaient des criminels», a affirmé la journaliste.