La puissante armée birmane s'est dite prête jeudi à « coopérer » avec l'opposante Aung San Suu Kyi après sa victoire électorale écrasante, semblant jouer le jeu du passage de relais, quatre ans après l'autodissolution de la junte.

« L'armée fera de son mieux, en coopération avec le nouveau gouvernement », a déclaré le général Min Aung Hlaing qui a appelé ses troupes à « l'obéissance et la discipline » lors d'un discours devant les responsables militaires du pays, rendu public par l'armée jeudi.

Depuis les élections de dimanche, le régime d'anciens généraux convertis aux réformes multiplie les signaux en faveur d'une transition pacifique, acceptant de rencontrer sous peu l'opposante à sa demande et saluant sa victoire, avant même la publication des résultats définitifs.

« Nous voudrions féliciter » Aung San Suu Kyi pour « avoir remporté l'approbation du peuple », a déclaré le président Thein Sein mercredi soir.

Selon les derniers résultats officiels, publiés jeudi soir, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'Aung San Suu Kyi est à deux sièges de passer la barre des 329 sièges lui permettant d'avoir une majorité dans les deux chambres du Parlement.

Une victoire saluée par le président américain Barack Obama qui a appelé mercredi la prix Nobel de la paix, qu'il a déjà rencontrée par deux fois lors de voyage officiel en Birmanie.

M. Obama a « salué les efforts et les sacrifices constants » de l'opposante pendant de nombreuses années « pour promouvoir une Birmanie plus pacifique, démocratique et inclusive ».

Ils ont ensuite ensemble souligné l'importance pour tous les partis « de respecter les résultats officiels une fois annoncés » et de travailler dans un esprit d'unité qui reflète « la volonté du peuple », selon un compte-rendu de la Maison-Blanche.

D'après le gouvernement birman, M. Obama a également appelé son homologue birman Thein Sein pour le « féliciter » d'avoir permis des élections « libres ».

De son côté, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a félicité Aung San Suu Kyi pour la victoire de son parti, mais a averti qu'il restait « beaucoup de travail » pour faire de son pays une démocratie.

Après 30 ans de lutte contre la junte, l'opposante se retrouve en position de force pour négocier avec les héritiers d'un régime militaire lui ayant fait passer plus de 15 ans en résidence surveillée.

Thein Sein, dernier premier ministre de cette junte autodissoute en 2011, avait promis que le régime de transition ne truquerait pas ce premier scrutin promis libre depuis un quart de siècle.

Vous pouvez « être fier de ce succès électoral, qui est un jalon historique », a déclaré le président Obama, saluant les « réformes courageuses » menées en quatre ans, selon le gouvernement birman.

« Bienvenue à la nouvelle garde »

Les signes de crispation du régime en amont du scrutin s'étaient multipliés, avec une intense propagande télévisée contre toute tentation de révolution populaire de type printemps arabe.

La réaction de l'armée au raz-de-marée en faveur de la « Dame de Rangoun » était devenue un des principaux motifs d'inquiétude, Aung San Suu Kyi ayant promis de détricoter un système donnant aux militaires un pouvoir politique considérable.

Le chef de l'armée nomme en effet 25 % de députés mais aussi des ministres clefs comme celui de la Défense et de l'Intérieur.

Avec l'adoubement désormais du président Thein Sein et du chef de l'armée, une alternance historique est en marche. « Bienvenue à la nouvelle garde », écrivait le journal officiel Global New Light of Myanmar jeudi, du jamais vu.

La stratégie ces derniers jours de la LND a été de faire profil bas pour laisser au gouvernement post-junte le temps d'accepter sa défaite. Jeudi, l'opposante a toutefois organisé une réception privée dans sa maison au bord d'un lac à Rangoun.

La foule de ses partisans n'attend que son signal pour célébrer la victoire, dans un pays où l'émotion suscitée par ces élections est encore intense, quatre jours après le vote.

Viendra ensuite le temps des négociations. « La Dame gagne. La partie difficile commence », titrait en Une le quotidien Mizzima jeudi.

L'arrivée réelle au pouvoir d'Aung San Suu Kyi devrait prendre du temps, l'assemblée sortante devant encore se réunir plusieurs mois avant de céder la main à la nouvelle majorité parlementaire, à partir de février 2016.

Et elle ne pourra tout de façon pas devenir présidente dans la foulée en raison d'une Constitution taillée sur mesure contre elle par la junte, qui interdit à toute personne ayant des enfants étrangers de se présenter. Or Mme Suu a deux fils britanniques.

Mais elle a déjà prévenu qu'elle avait « un plan » et qu'elle serait « au-dessus du président ».

PHOTO ARCHIVES AFP

«L'armée fera de son mieux, en coopération avec le nouveau gouvernement», a déclaré le général Min Aung Hlaing lors d'un discours.