Le gouvernement sortant en Birmanie a promis mercredi pour la première fois de «transférer le pouvoir pacifiquement» si la victoire de l'opposante Aung San Suu Kyi aux élections historiques de dimanche se confirme.

«En tant que gouvernement, nous nous soumettrons au choix des électeurs et nous transfèrerons le pouvoir pacifiquement», a annoncé le ministre de l'Information Ye Htut dans un communiqué officiel.

«La Ligue nationale pour la démocratie l'a emporté dans de nombreux endroits, félicitations pour cela», ajoute le communiqué, précisant que des «discussions» auraient lieu après la publication des résultats définitifs.

Ceux-ci pourraient encore prendre plusieurs jours.

Aung San Suu Kyi a appelé mercredi à des pourparlers «la semaine prochaine» le président et le chef de l'armée, héritiers de la junte l'ayant confinée pendant plus de 15 ans en résidence surveillée. Le président lui a proposé en retour une rencontre en tête-à-tête.

«Les citoyens ont exprimé leur volonté lors des élections», écrit-elle dans une lettre adressée un peu plus tôt au général Min Aung Hlaing, au président Thein Sein et au président de la chambre basse du Parlement Shwe Mann.

Les résultats des élections de dimanche tombent chaque jour au compte-gouttes, mais la LND est d'ores et déjà donnée largement en tête.

Elle a encore raflé 179 des 323 sièges à la chambre basse du Parlement (contre 17 à l'USDP, le parti au pouvoir), selon le dernier décompte publié mercredi. Et 77 des 168 sièges de la chambre haute (contre 4 à l'USDP).

La lauréate du prix Nobel de la Paix en 1991, icône dans son propre pays, a été réélue députée dans sa circonscription rurale de Kawhmu, un siège décroché lors de législatives partielles en 2012, raz-de-marée pour la LND et premier test démocratique pour le régime de transition.

Mais les soupçons se multiplient autour de la lenteur possiblement délibérée de la commission électorale, dans ce pays où l'administration reste largement dominée par des fonctionnaires au passé militaire.

Alternance en marche

Une alternance historique est théoriquement en marche, mais elle est donc suspendue pour l'heure à la publication des résultats.

Le président français François Hollande a eu une conversation téléphonique avec l'opposante birmane, rappelant que «la France restait très attentive au respect de la volonté du peuple birman».

La stratégie de la LND ces derniers jours a été de laisser au gouvernement post-junte le temps de «digérer la nouvelle», sans mettre d'huile sur le feu, dans ce pays d'Asie du Sud-Est où «faire perdre la face» à son adversaire en fanfaronnant est considéré comme une erreur stratégique.

D'où l'extrême prudence avec laquelle manoeuvre jusqu'ici Aung San Suu Kyi, évitant les apparitions publiques et faisant démonter l'écran géant et les haut-parleurs devant le siège de son parti.

Les partisans de «la Dame de Rangoun», qui étaient descendus dans la rue en nombre dimanche et lundi pour célébrer la victoire, respectent jusqu'ici la consigne de rester chez eux.

Et la vie a repris son cours à Rangoun, dans l'attente des résultats. Mais leur annonce permettra à Aung San Suu Kyi de donner le feu vert à une explosion de joie populaire contenue depuis des années.

Suu Kyi s'apprête à reprendre le chemin de Naypyidaw, à cinq heures de Rangoun, pour la reprise de la session parlementaire lundi, qui lui fournira l'occasion de rencontrer discrètement le président Thein Sein.

En effet, bizarrerie du système politique birman, l'assemblée sortante va se réunir à partir de lundi, Aung San Suu Kyi et sa quarantaine de députés de la LND se retrouvant coincés jusqu'à fin janvier dans le rôle d'opposition parlementaire, face aux 331 députés de l'USDP pro-régime.

L'USDP avait été créé par la junte en 2010, un an avant l'autodissolution du régime, comme une plateforme de transition. Mais le parti reste une formation de fonctionnaires, sans véritable assise populaire. Et plusieurs de ses hauts dirigeants ont déjà reconnu à titre personnel la victoire de la LND.

Le nouveau Parlement n'entrera en fonction que début 2016, sans doute en février ou mars. Viendra alors le temps du lancement des réformes par Aung San Suu Kyi et son équipe.

Le temps est aux négociations avec un pouvoir militaire qui s'arroge toujours, selon la Constitution, 25 % des sièges de députés, lui donnant de facto un droit de veto, qu'Aung San Suu Kyi a annoncé qu'elle combattrait, en temps voulu.