Le secrétaire d'État américain John Kerry est arrivé samedi matin à Bishkek, au Kirghizstan, première étape d'une tournée en Asie centrale, que Moscou considère comme sa zone d'influence, destinée à rassurer cinq ex-républiques soviétiques.

À peine sorti des pourparlers cruciaux sur la Syrie à Vienne, le chef de la diplomatie américaine s'attelle donc à un autre marathon qui le mènera après Bichkek, d'ici à mardi, en Ouzbékistan, au Kazakhstan, au Tadjikistan et au Turkménistan.

Il s'agira pour lui de rassurer les autorités de ces cinq pays, inquiètes des conséquences du désengagement américain en Afghanistan et de la montée en puissance des jihadistes de l'État islamique.

La région, où Russes, Chinois et Américains cherchent à peser économiquement et diplomatiquement, s'inquiète du retrait programmé - même s'il est retardé - des troupes américaines d'Afghanistan.

Sur le front économique, ces ex-républiques soviétiques pâtissent de la récession en Russie provoquée par les sanctions occidentales et la baisse des prix du pétrole alors qu'elles restent dépendantes du voisin russe via le commerce et l'émigration de travail. Pour ne rien arranger, la Chine, qui a énormément investi ces dernières années dans la région, subit actuellement un coup de frein.

Ces pays sont par ailleurs exposés au problème croissant des recrutements du groupe État islamique, qui leur fait craindre une montée de l'extrémisme. Washington, se faisant l'écho de certaines ONG, s'alarme à son tour que ce phénomène ne justifie un durcissement de ces régimes déjà souvent critiqués pour leur manque de pluralisme et leurs manquements au respect des droits de l'Homme.

Entre 2000 et 4000 personnes originaires d'Asie centrale ont rejoint les rangs de l'État islamique, selon le cercle de réflexion International Crisis Group. La Russie, qui mène depuis un mois une campagne intensive de bombardements en Syrie, surveille d'ailleurs de près ce qui se passe en Asie Centrale. Tout comme les États-Unis.

L'une de ces recrues de l'EI a particulièrement attiré l'attention à Washington: Goulmourod Khalimov, qui était non seulement l'ancien responsable des forces spéciales de la police tadjike, mais avait été formé à l'antiterrorisme aux États-Unis.

Ce colonel, après avoir disparu soudainement, est récemment apparu dans une vidéo, fusil de précision à la main appelant ses compatriotes à rejoindre l'EI.

Libertés menacées?

«Cela a vraiment ébranlé non seulement les Tadjiks, mais toute la région», a constaté une haute diplomate américaine avant la visite de M. Kerry. «Il avait suivi une de nos formations, cela a été un choc pour tout le monde qu'il se soit radicalisé et qu'il ait été recruté par l'EI».

Dans l'ensemble cependant, a tempéré cette responsable, «nous n'observons pas de réelle indication d'activité de l'EI en Asie centrale». «Mais les recrutements sont inquiétants et c'est ce que nous surveillons», a-t-elle ajouté.

Washington craint en revanche une réaction trop dure des autorités locales au détriment des libertés, de nature à provoquer des violences religieuses dans cette région à majorité musulmane, comme dans le passé en Pakistan ou en Afghanistan.

Le Tadjikistan vient d'interdire le principal mouvement d'opposition du pays, le parti de la Renaissance islamique, classé comme organisation terroriste alors qu'il était considéré comme modéré jusqu'alors. Une vingtaine de ses cadres ont été arrêtés.

«Je pense que le danger posé par l'État islamique est moindre par rapport à celui posé par le régime» tadjik, estime Edward Lemon, spécialiste de l'Asie centrale à l'université d'Exeter.

«Il y a une espèce de système soviétique de régulation stricte des pratiques religieuses et cela risque d'encourager le recours à la violence et à la rébellion contre l'État», poursuit ce chercheur, interrogé par l'AFP.

Vendredi, l'ONG Human Rights Watch a demandé à John Kerry d'avertir «clairement» les pays d'Asie centrale que les violations des droits de l'Homme étaient inacceptables pour les États-Unis.

Freedom House a appelé de son côté le secrétaire d'État à «ne pas tomber dans le piège de légitimer le régime des présidents à vie en échange d'une illusion de stabilité».