Le centre d'appels de la Croix-Rouge de Séoul est en ébullition. Les volontaires s'époumonent pour se faire entendre des personnes âgées à l'autre bout du fil, et vérifier leurs coordonnées, mais aussi, tout simplement, qu'elles sont toujours en vie.

Les volontaires doivent s'armer de patience pour passer au crible des dizaines de milliers de noms après la récente décision des deux Corées d'organiser une réunion des familles séparées par la guerre (1950-53).

Les Croix-Rouge des deux rivaux doivent se réunir lundi pour organiser la logistique de la rencontre, qui devrait avoir lieu début octobre.

Dans le centre d'appels, il s'agit de dresser une liste de participants sud-coréens potentiels, mais le temps fait cruellement défaut.

Les réunions des familles avaient véritablement commencé après un sommet historique Nord/Sud en 2000. À l'origine, il y avait une rencontre par an, mais les tensions qui surgissent régulièrement dans la péninsule avaient eu raison de ce rythme. Ces cinq dernières années, il n'y a eu qu'une seule rencontre.

La plupart des Sud-Coréens qui se trouvent sur la liste d'attente, octogénaires, voire nonagénaires, ne peuvent plus attendre.

- Maelstrom émotionnel -

Sur près de 130 000 personnes qui se sont manifestées pour participer à une réunion de ce type depuis 1988, plus de la moitié sont décédées. Et le taux de mortalité croît avec les années.

Les places sont rares, si bien que seuls 3.668 élus ont effectivement assisté à une réunion des familles.

Pour l'instant, dans le centre d'appels, les volontaires n'en sont qu'à la première étape, la prise de contact avec plus de 66.000 inscrits en liste d'attente.

Il s'agit d'abord de vérifier que les personnes sont toujours en vie, puis qu'elles sont toujours volontaires ou que leur état de santé leur permettrait de se rendre au rendez-vous si elles sont finalement choisies.

«C'est une tâche pénible et longue, contacter toutes ces personnes âgées, une par une, vérifier leur adresse, leur numéro de téléphone», dit Woo Kwang-Ho, un responsable de l'association humanitaire.

Et ces coups de fil déclenchent des maelstroms émotionnels alors que les espoirs n'ont statistiquement que peu de chances d'être satisfaits.

«Il y a de plus en plus de gens qui ne veulent plus rien savoir tant ils sont frustrés», dit M. Woo. «Et puis il y a ceux qui sont tout simplement trop fragiles. La vérité c'est que dans dix ans, il n'y aura presque plus personne sur cette liste».

C'est un parcours du combattant. Être élu ne signifie pas une participation automatique. D'abord, les autorités nord-coréennes doivent vérifier que les proches vivant de leur côté de la frontière sont eux-mêmes toujours en vie, et d'accord pour une rencontre.

Après, rien n'est gagné. La Corée du Nord a déjà annulé des réunions à la dernière minute.

Kim Kyung-Jae, 83 ans, veut voir la jeune soeur qu'il a laissée derrière lui en 1951 en quittant sa ville natale de Bukcheong (nord-est).

Le vieil homme était le troisième fils d'une famille aisée, propriétaire de toute une flottille de bateaux de pêche. «Mon père m'a dit de partir et de me mettre en sécurité. Je ne l'ai plus jamais revu», confie-t-il à l'AFP.

- Chances infimes -

La guerre de Corée s'est achevée par un armistice et non par un traité de paix, si bien que les deux pays sont toujours techniquement en guerre. Les communications téléphoniques directes ou échanges de lettres sont proscrits.

Kim Kyung-Jae n'a su qu'en 1992 que sa soeur vivait encore, lorsqu'un ami résidant aux États-Unis s'était rendu à Bukcheong.

Nommé par son entreprise au Japon, il avait pu communiquer avec elle de façon assez régulière entre 1997 et 2004.

«Mes souvenirs visuels se sont beaucoup estompés, mais je veux désespérément la voir. Cela ne changera pas jusqu'à ce que je sois dans ma tombe».

Ses chances sont minces.

Lors de la dernière rencontre, en février 2014, c'est un ordinateur qui avait choisi 500 candidats au hasard, en tenant compte de facteurs comme l'âge et l'histoire familiale.

Après des entretiens et des examens médicaux, ce nombre avait encore été réduit à 200. Puis, les deux Corées avaient dressé chacune une liste de 100 participants.

Pour ceux-là, les retrouvailles sont presque traumatisantes. Elles durent plusieurs jours et la joie est tempérée par l'inévitable, le spectre de la séparation imminente qui sera cette fois définitive.

«Beaucoup sont déprimés après, car ils ne peuvent rester en contact», dit Shim Coo-Seob, président d'une association des familles. «Il est temps que le gouvernement mette en place un canal permanent pour les échanges de lettres».