Des centaines de pères fiers de leur fille ont pris la pose ces derniers jours en Inde, à l'invitation de leur premier ministre. L'opération, tantôt saluée pour sa promotion de l'égalité des sexes, tantôt critiquée pour son opportunisme politique, est vite devenue virale sur les réseaux sociaux.

#Selfiewithdaughter, le mot-clic - qu'on pourrait traduire par «égoportrait avec ma fille» - a contaminé l'Inde à la fin juin à la suite d'un appel lancé par le premier ministre Narendra Modi. L'homme invitait ainsi les pères indiens à diffuser une photo d'eux et de leur fille dans le cadre d'une campagne nationale pour promouvoir l'éducation des femmes.

L'initiative était inspirée d'un concours tenu à la mi-juin dans l'État de Haryana, dans le nord de l'Inde: le village de Bibipur a fait tirer un prix parmi les pères qui ont fait parvenir un égoportrait d'eux et de leur fille. «Quand nous visitons les maisons des gens, nous remarquons qu'ils affichent moins de photos de leurs filles», a expliqué à l'Indian Express Sunil Jaglan, du village de Bibipur.

L'Haryana est l'un des cinq États indiens où le ratio hommes/femmes est le plus grand. En 2014, 871 filles sont nées pour 1000 garçons.

«Tout ce qui peut être fait pour promouvoir les droits des femmes en Inde est une bonne chose, même si ce genre d'initiatives n'est pas suffisant pour engendrer des changements à long terme», commente la professeure de l'Université d'Ottawa Carol Vlassoff, auteure d'un livre sur l'inégalité des sexes dans les régions rurales de l'Inde. Les prix en argent remis à Bibipur pourraient, suggère-t-elle, être déposés dans un compte bancaire pour l'éducation de la fille, ce qui aurait plus d'effet que d'afficher une simple photo au mur...

Si la campagne a généralement été bien reçue en Inde, elle a également fait l'objet de critiques. L'actrice Shruti Seth est l'une des voix qui se sont interrogées sur l'effet réel de ces égoportraits. «À titre indicatif, le changement doit se produire dans des régions illettrées où les téléphones qui ont un appareil photo sur la face avant n'existent pas», a-t-elle écrit sur Twitter le 28 juin.

Mal lui en prit, car pendant les heures qui ont suivi, un flot de commentaires haineux et sexistes a déferlé à son endroit, la traitant d'actrice «à la carrière inexistante», de «prostituée» ou s'en prenant même à sa fille de 11 mois. Dans une lettre publiée le 2 juillet, elle revenait sur la polémique, tout en répétant ses critiques sur #selfiewithdaughter.

«À tous ceux qui m'ont harcelée sans cesse pendant 48 heures, ne vous êtes-vous jamais arrêtés pour réaliser que, moi aussi, je suis la fille de quelqu'un? Ne vous êtes-vous jamais demandé comment vous vous sentiriez si c'était votre fille qui recevait toute cette haine? Je devine que la réponse est un gros "NON". Parce que, vous voyez, vous étiez trop occupés à poser devant l'appareil et à récolter les «J'aime» et les "retweets" pour votre #selfiewithdaughter.»