La famille de Pannakaji vit au «temple des singes» de Katmandou depuis 1600 ans et le séisme qui a ravagé ce site abritant des merveilles de l'art himalayen ne l'en a pas chassé: il dort sur un matelas coincé entre des statues de Bouddha pour décourager les pilleurs.

Connu sous le nom touristique de «temple des singes», le temple Swayambunath construit sur une colline verdoyante est l'un des plus anciens sites religieux du Népal et l'un des plus sacrés de la capitale. Mais le séisme du 25 avril l'a réduit en immense tas de pierres ocre d'où émergent des stupas votifs du 7e siècle et quelques statues.

«Nous sommes prêtres depuis 1600 ans ici, donc je reste», dit simplement Pannakaji, qui ne donne que son prénom, accroupi sous une bâche où il a installé un campement de fortune avec 200 autres «habitants» du temple. Avant le séisme, ils occupaient des masures en bois entourant le sanctuaire, aujourd'hui ravagées comme en zone de guerre.

Les membres de cette communauté chargée de l'activité rituelle du site ont sorti tout ce qu'ils pouvaient des ruines -- médicaments, ustensiles de cuisine, quelques habits  -- et vivent depuis une semaine comme dans un camp de réfugiés. Les femmes préparent le chai (thé aux épices) dans des bouilloires en fer blanc près des stupas, les enfants jouent avec trois fois rien.

Pannakaji reste aussi par peur des vols, la nuit.

«On ne dort pas. On surveille. Je veux empêcher les pillages de statues», explique cet homme de 61 ans en tournant entre ses mains un «jap mala», collier de perles en bois.

Au moins 70% du site a été détruit

Mandaté par l'UNESCO pour évaluer in situ les dommages du temple, le Français David Andolfatto craint en particulier les pillages à l'occasion de l'anniversaire de Bouddha lundi.

«Des milliers de petits stupas en terre séchée au soleil sont restés intacts dans les ruines, on peut très facilement les embarquer. Je redoute que les dévots viennent ici lundi pour les prendre parce que ce temple est un «marqueur» très important du bouddhisme newar, népalais et tibétain», explique cet archéologue et historien de l'art.

Une «gumba» (salle de prière) abritait notamment la statue de la déesse Ajima, qui protège de la variole, et la population pourrait aussi vouloir venir en voler des morceaux dans un geste d'autoprotection.

Selon David Andolfatto, qui avoue avoir pleuré en découvrant l'ampleur du désastre, au moins 70% du site a été détruit.

Bloquer les transactions d'art himalayen

Les destructions pourraient aussi attirer des pilleurs professionnels appâtés par la perspective de juteux profits sur le marché international de l'art, d'autant que les vols d'oeuvre d'art sont un phénomène déjà répandu au Népal.

Alors avec volontaires et experts, David photographie et inventorie le plus vite possible les trésors. Son but: demander aux autorités népalaises de bloquer les transactions d'art himalayen dans le monde, et notamment sur les prestigieuses places internationales comme Christie's ou Sotheby's.

«On sait qu'il y a deux statues qui, à nos yeux, sont notamment susceptibles d'être volées», dit-il, sans fournir plus de détails.

Mais il y a aussi de bonnes nouvelles.

Dans son effondrement, un stupa en terre séchée a révélé une construction en «poupée russe» dévoilant dans ses entrailles des dizaines d'autres petits stupas plus anciens recelant quelques pièces de monnaie dotées d'inscription apparemment persane que les experts vont s'empresser de faire analyser.

Malgré les risques d'effondrement des structures encore debout, menaçant la sécurité des «réfugiés», personne n'ose déloger les gardiens du temple.

Tashi Phuntsok, un moine qui vit ici depuis onze ans, a choisi de planter sa tente face à une vue panoramique sur Katmandou et les montagnes, propice à la méditation. «Je reste pour aider», dit-il, lunettes de soleil sur le nez.

Dans les escaliers vertigineux qui montent au site, où les singes prennent leur aise en l'absence de visiteurs, une grappe de moinillons part à l'assaut des ruines. «En tant que bouddhistes, on vient aider à déblayer, comme on peut», dit Gyurmey Sopa, un «grand» de 21 ans, moine depuis l'âge de 12 ans.