Aujourd'hui, le premier ministre de l'Inde, Narendra Modi, arrive à Ottawa. De la visite rare. Si on s'attend à ce que le politicien fasse courir les foules à Toronto et à Vancouver, nombre d'opposants, qui voient en lui un génocidaire, l'attendent aussi de pied ferme. Portrait d'un homme controversé.

Hindou, avant tout

Contrairement à nombre de premiers ministres indiens qui sont nés dans la cuisse de la dynastie Gandhi-Nehru, Narendra Modi a grandi dans la pauvreté dans le Gujarat rural. Enfant issu d'une caste désavantagée, il vendait du thé dans une station de train pour soutenir sa famille. 

À 8 ans, il a commencé à s'intéresser au Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), un organisme nationaliste hindou qui prône la suprématie des valeurs hindouistes dans un pays multiculturel. Il en est vite devenu un des propagandistes en chef. «Le RSS a puisé son inspiration dans le fascisme européen», note Narendra Subramanian, professeur de sciences politiques à l'Université McGill et expert de l'Inde.

Roi du Gujarat

C'est au sein de l'aile politique du RSS, le Bharatiya Janata Party (BJP), que Narendra Modi a commencé sa carrière politique à 35 ans. Connu pour ses discours incendiaires contre les musulmans et les chrétiens de l'Inde, Narendra Modi est élu «Chief Minister» (ministre en chef) de l'État indien du Gujarat en 2001, soit l'équivalent du poste de premier ministre provincial au Canada. 

Au cours de ses 12 années de règne, il attire les investissements indiens et étrangers dans l'État de 60 millions d'habitants, qui jouxte le Pakistan. Narendra Subramanian note que le développement mis de l'avant par Modi n'a pas profité également à tout le monde. «Ç'a été très bénéfique pour l'élite d'affaires, mais ça a mené à un développement très inégalitaire», note l'expert.

Criminel?

Narendra Modi était à la tête du Gujarat au cours des émeutes de 2002 qui ont coûté la vie à plus de 1000 personnes. La grande majorité des victimes étaient des musulmans. M. Modi a été accusé d'avoir été le cerveau derrière ces émeutes mortelles. Faute de preuves, la Cour suprême de l'Inde a disculpé le politicien, mais des doutes subsistent aujourd'hui sur les procédures judiciaires. Plusieurs accusent toujours Narendra Modi de n'avoir rien fait pour freiner la violence interreligieuse. 

Au Canada et aux États-Unis, Narendra Modi a été persona non grata pendant plusieurs années, mais son élection au poste de premier ministre l'an dernier a changé la donne. Au cours des dernières semaines, un groupe canadien baptisé «Sikhs pour la justice» a fait campagne auprès du ministre Peter Mackay, lui demandant d'intenter une poursuite judiciaire contre le premier ministre indien pour «torture et génocide». Les membres de l'organisation comptent manifester bruyamment lors du passage du premier ministre indien au Canada cette semaine.

Premier ministre

En mai dernier, en promettant de développer le pays et de faire le ménage dans la bureaucratie indienne, Narendra Modi et le BJP ont réussi à remporter 31% des voix et du coup, à former un gouvernement majoritaire, mettant fin à 10 ans de dominance du parti du Congrès. 

Depuis son élection, il a surtout travaillé à rendre la bureaucratie indienne plus efficace et à solliciter des investissements dans le pays de 1,2 milliard d'âmes. Plusieurs s'inquiètent toujours du nationalisme hindou dont il est la figure de proue.

«Au cours des deux années qui ont précédé sa campagne, il a modéré son discours à l'égard des minorités religieuses, mais ses politiques, elles, n'ont pas changé. La même chose est vraie sur le plan économique. Comme au Gujarat, il investit dans les infrastructures qui profitent aux gens d'affaires, en coupant dans les services de santé et en éducation», souligne l'expert de McGill. Près de 18% de la population indienne vit dans la pauvreté extrême.

Diplomate superstar

Depuis son élection, Narendra Modi voyage beaucoup et aime dire à tous ceux qui l'écoutent que l'Inde est prête à faire des affaires. Que ce soit aux États-Unis, où il s'est rendu l'an dernier, en Australie, en France ou en Allemagne - le pays qu'il vient de quitter pour venir au Canada -, il négocie des ententes commerciales. 

Au Canada, il espère faire avancer les négociations avec Cameco, société de Saskatchewan qui pourrait vendre de l'uranium au géant indien. À Ottawa, il devrait être question d'une vaste entente commerciale que l'Inde et le Canada négocient depuis 2010. 

On s'attend aussi à ce que le premier ministre indien permette aux Canadiens qui veulent se rendre dans le pays de Gandhi de se procurer un visa à la frontière plutôt que d'avoir à en faire la demande dans un consulat. 

Narendra Modi profite aussi de ses séjours à l'étranger pour rencontrer la diaspora indienne. À Toronto, plus de 15 000 personnes ont demandé des billets pour assister à son discours de demain. À New York, il a réussi à remplir le Madison Square Garden. Ce jour-là, 18 000 Indo-Américains, qui voient d'un bon oeil une plus grande ouverture économique de l'Inde, y ont scandé son nom.