La première ministre thaïlandaise déchue Yingluck Shinawatra sera jugée pour négligence, a confirmé jeudi la Cour suprême du pays qui a fixé le début du procès au 19 mai. Elle risque dix ans de prison.

C'est le dernier d'une série de coups portés à l'influente famille Shinawatra, qui a remporté toutes les élections nationales depuis 2001, et que la junte militaire qui a pris le pouvoir en mai dernier est accusée de vouloir sortir du jeu politique.

Yingluck avait été mise en examen mi-février pour négligence après avoir mis en place pendant son mandat un programme de subvention du riz. «Cette affaire relève de notre autorité», a annoncé jeudi le juge de la Cour suprême Veeraphol Tangsuwan devant la presse.

Ironiquement, le 19 mai tombe quelques jours avant l'anniversaire du coup d'État du 22 mai 2014, qui a fait tomber le gouvernement de Yingluck.

Cette dernière, qui avait renoncé jeudi à faire le déplacement devant la Cour suprême, est déjà interdite de vie politique pour cinq ans.

Le chef de la junte militaire, le général Prayut Chan-O-Cha, qui a enfilé les habits de premier ministre depuis le coup d'État, a botté en touche, face à une question d'un journaliste concernant l'interdiction de sortie de territoire de Yingluck.

«Demandez au tribunal. Cette affaire a suivi le cours judiciaire» classique, sans arrière-pensée politique, a-t-il assuré.

«En tant que première ministre, j'ai toujours été honnête et au service du peuple thaïlandais, qui a élu mon gouvernement», a commenté Yingluck sur sa page Facebook, devenue son moyen de communication privilégié dans un pays sous loi martiale où les réunions politiques sont interdites.

Les attaques la visant sont dénoncées par ses partisans et nombre d'analystes comme une alliance des élites traditionnelles, comme l'armée ou les juges, visant à détruire l'influence politique des Shinawatra.

«Faire monter la température»

«C'est assez clair que l'élite veut expulser les Shinawatra de la politique», a déclaré à l'AFP Puangthong Pawakapan, politologue de l'université Chulalongkorn de Bangkok, voyant dans ce procès à venir une répétition du procès de Thaksin Shinawatra en 2008.

Condamné à deux ans de prison pour corruption, cet ex-premier ministre a déjà pris le chemin de l'exil depuis plusieurs années pour échapper à cette peine. Mais l'ancien magnat des télécommunications est accusé de continuer à tirer les ficelles depuis son exil doré.

La Thaïlande, profondément divisée entre pro et anti-Shinawatra, est confrontée à une crise politique récurrente depuis le coup d'État de 2006 contre Thaksin Shinawatra.

La décision de poursuivre Yingluck va «faire monter d'un cran la température», estime l'analyste thaïlandais Pavin Chachavalpongpun, basé à l'université de Kyoto.

«Cela va pousser les gens à sortir et à lutter contre l'injustice et la politisation de la cour», a-t-il ajouté.

Depuis sa prise de pouvoir en mai, l'armée a multiplié les poursuites judiciaires contre les partisans de Yingluck, notamment en vertu de la loi controversée de lèse-majesté.

Les militaires ont justifié le coup d'État contre le gouvernement de Yingluck par la défense de la monarchie, dans un contexte d'incertitude, alors que le roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej, âgé de 87 ans, est hospitalisé.

Yingluck a toujours défendu sa politique de subvention aux riziculteurs, estimant qu'il s'agissait d'une subvention nécessaire pour aider les agriculteurs pauvres qui reçoivent historiquement peu d'aide du gouvernement. Toutefois, bien que populaire dans les bastions ruraux des Shinawatra, ce programme s'est révélé économiquement désastreux et a laissé au pays des stocks massifs de riz invendu.